Opinion

L’Arabie Saoudite snobe le Conseil de Sécurité.

Situation inédite aux Nations-Unies : l’Arabie Saoudite, alors qu’elle venait d’être élue par l’Assemblée Générale pour deux ans membre non-permanent du Conseil de Sécurité au titre du siège dévolu au monde arabe, a refusé de siéger. Dans un communiqué publié au lendemain de l’élection, le ministère saoudien des Affaires Etrangères a signifié « son refus d’accepter d’être membre du Conseil de Sécurité jusqu’à ce qu’il soit réformé et puisse assurer réellement et pratiquement ses devoirs et s’acquitter de ses responsabilité dans le maintien de la sécurité et de la paix mondiales ». Cette décision spectaculaire a pris tout le monde par surprise, et les diplomates saoudiens à contre-pied. Ceux-ci avaient en effet vaillamment fait campagne pour cette élection, et le représentant permanent de l’Arabie Saoudite a New-York avait même annoncé son intention de la célébrer solennellement avant d’être ainsi désavoué par le communiqué de son propre ministre des affaires Etrangères. Les diplomates saoudiens auraient été mieux inspirés de regarder du côté du palais royal, et de méditer les raisons pour lesquelles le Prince Saoud al-Fayçal, inamovible ministre des Affaires Etrangères du royaume, avait déjà au mois d’octobre décidé de passer son tour à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations-Unies.

Que l’on ne s’y trompe pas. Cette décision est celle du Roi, qui a ainsi entendu marquer solennellement son exaspération à l’égard d’une organisation qu’il accuse de n’avoir pas su régler le problème palestinien depuis plus d’un demi-siècle, et de faire preuve de la plus grande pusillanimité dans la question syrienne. Mais au-delà même du message de défiance ainsi adressé publiquement aux Nations-Unies, c’est à Washington que le Roi Abdallah signifie avec humeur son mécontentement. Il reproche pêle-mêle au président Obama et à la diplomatie américaine de n’être pas intervenus militairement contre la Syrie et son archi-ennemi Bachar al-Assad, de chercher à se rapprocher de Téhéran depuis l’élection du président Rohani, d’avoir quitté prématurément l’Irak au risque de laisser le gouvernement chiite de Bagdad devenir un satellite de l’Iran, de se montrer incapables de pousser Israël à négocier sérieusement avec les Palestiniens, de s’être laissés indûment séduire par les prétendus « printemps arabes », et d’avoir inconsidérément laissé tomber Moubarak, défendu mordicus par Riyad. Les griefs sont nombreux, profonds, anciens pour certains d’entre eux, et se sont accumulés au cours de ces derniers mois au point d’épuiser la patience royale. M. Obama vient de décider de dépêcher son secrétaire d’Etat, John Kerry, à Riyad, mais il en faudra bien davantage pour apaiser l’ire du souverain wahhabite.

Pendant ce temps, les Nations-Unies se trouvent confrontées à un imbroglio sans véritable précédent. Le Conseil de Sécurité se trouvera réduit à quatorze membres à compter du 1er janvier prochain si la situation n’est pas résolue d’ici le 31 décembre. Il n’en pourra pas moins se réunir normalement, comme le montre le précédent de la guerre de Corée, en 1950, pendant laquelle l’Union soviétique avait pratiqué la politique de la chaise vide. Le seul autre précédent invoqué par les experts n’en est, en réalité, pas un : en 1979, l’Assemblée Générale avait été incapable de départager, pendant 148 tours de scrutin, la Colombie et Cuba qui s’arrachaient le siège de l’Amérique latine, et le Conseil de Sécurité avait dû là encore siéger à 14 au début du mois de janvier de l’année suivante, avant que le Mexique soit finalement désigné pour mettre d’accord les deux rivaux. Mais la situation était bien différente de celle créée par le geste d’humeur calculé du roi d’Arabie, qui fait plutôt penser, pas son côté théâtral et délibéré, à Jean-Paul Sartre refusant avec hauteur le prix Nobel de littérature qui venait de lui être décerné par les complices norvégiens du capitalisme international.

Les choses évolueront sans doute d’ici la fin de l’année, car le groupe arabe n’entendra pas se laisser ainsi priver de la tribune que lui donne un siège au Conseil de Sécurité, et l’Arabie Saoudite ne voudra sans doute pas se laisser accuser de l’en priver. Il est peu probable que Riyad revienne sur sa décision, mais l’Arabie pourrait retirer sa candidature au profit d’un autre Etat arabe. Celui-ci devrait être élu, comme l’avait été l’Arabie Saoudite, par le groupe asiatique, et pourrait être le Koweït, qui normalement avait pris date pour le prochain tour. Riyad se trouverait alors libre, depuis le banc de touche ainsi choisi, de ruminer son ressentiment contre « ce machin de New-York », et de fulminer autant que nécessaire sur les agissements de Washington et ses faiblesse réelles ou supposées à l’égard de Damas et de Téhéran. La tâche de la diplomatie américaine ne s’en trouvera pas facilitée.

 

 

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