Chronique Diplomatique

Quatre ans de politique étrangère de Barack Obama

Revue des Deux Mondes, octobre-novembre 2012.

L’AMERIQUE A LA DURE

 

L’élection de novembre 2008 a revêtu un caractère très singulier dans l’histoire des élections présidentielles américaines. D’abord, bien sûr, parce qu’elle a amené à la Maison-Blanche le premier président noir, près de cent cinquante ans après la fin de la guerre de Sécession, et quarante ans après l’assassinat de Martin Luther King. Mais aussi parce que le retour au pouvoir des démocrates semblait marquer la fin d’un long cycle républicain entamé avec l’élection de Ronald Reagan, et à peine troublé par l’intermède de la présidence Clinton, qui, sur ses huit ans de mandat, eut à compter pendant six ans avec une difficile majorité républicaine conservatrice au Congrès. Enfin parce que, contrairement à la tradition, les sujets internationaux ont joué un rôle décisif lors de la campagne et dans l’issue du scrutin : le sujet de l’image des États-Unis dans le monde, très ternie par l’administration Bush, fut constamment au centre des débats, comme celui des deux guerres étrangères dans lesquelles se trouvaient engagées les forces américaines, et comme les conséquences internationales multiples de la « guerre contre le terrorisme » proclamée par l’administration républicaine.

L’élection de 2012 revêtira à tous égards un caractère différent, comme est différent le contexte dans lequel elle se déroule. D’abord, elle met cette fois aux prises un président sortant qui brigue sa réélection, et un challenger nouveau venu dans la course présidentielle, même s’il occupe depuis longtemps déjà le devant de la scène politique. Mais surtout il apparaît à l’évidence que l’élection se jouera sur des sujets nationaux, dans un contexte de crise économique et financière prolongée. Elle se jouera sur les thèmes de la reprise économique ou de la stagnation, de l’emploi et de l’apparition d’un chômage chronique, de la contestation par les opposants républicains de la réforme du système de santé, mesure emblématique du mandat d’Obama. Les sujets internationaux n’auront été qu’effleurés durant la campagne (1), et surtout par le biais des invectives des républicains accusant le président sortant de manquer de leadership.

Cette absence des grands sujets diplomatiques et géopolitiques dans la campagne présidentielle est donc un retour à la norme, et constitue un rappel brutal de la primauté absolue de l’économique et du social dans les préoccupations des électeurs américains – écho de la célèbre apostrophe du candidat Clinton (« It’s the economy,stupid ! ») lors de la campagne de 1992.

Et pourtant, à côté de la réforme du Health Care, les sujets de politique étrangère auront occupé une place très importante dans l’action du président sortant tout au long de son premier mandat. Barack Obama se sera attaché à définir et à mener une politique étrangère très active, réfléchie et cohérente, qui cependant se sera révélée improductive : paradoxe étonnant, qui mérite que l’on s’y arrête.

New Deal diplomatique

Dès son élection et sa prise de fonctions en janvier 2009, Barack Obama est apparu comme un président d’un nouveau type, pour diverses raisons qui dépassaient de loin le simple fait qu’il soit le premier président noir de l’histoire des États-Unis. Les circonstances de sa naissance et de sa jeunesse lui donnaient d’entrée une dimension internationale : fils d’un émigrant kényan, né à Hawaï, élevé en Indonésie, son horizon dépassait depuis ses premiers pas celui du continent américain. Homme du Pacifique beaucoup plus que de l’Atlantique (il le dit volontiers), il est le premier président des États-Unis à n’avoir pratiquement rien d’européen dans son ADN. Brillant avocat issu de la Harvard Law School, rompu à l’action sociale dans les quartiers défavorisés de Chicago, il n’avait fait jusqu’à son élection qu’une courte apparition sur la scène fédérale, et était pratiquement inconnu jusqu’à ce que la Convention démocrate de Chicago, en 2004, le propulse sur le devant de la scène et lui donne l’occasion de crever l’écran. Il devait cette irruption sur la scène nationale au fait qu’il était pratiquement le seul sénateur démocrate à s’être opposé, dès l’automne 2002, à la demande de pleins pouvoirs d’un président Bush déterminé à partir en guerre contre l’Irak. Membre de la Commission du renseignement du Sénat,il ne s’était pourtant guère illustré depuis son arrivée au Capitole, et son bilan législatif était pratiquement nul.

Aussi demeurait-il largement une énigme. La campagne des primaires démocrates avait toutefois révélé certains traits dominants de sa personnalité. Intelligent, cérébral, sûr de lui et charismatique, il se présentait en homme de réconciliation, se situant au-dessus des conflits, comme s’il en tirait les leçons pour mieux les dépasser : tel était notamment l’esprit qui avait inspiré son extraordinaire discours de Philadelphie sur le problème racial aux États-Unis. N’a-t-il pas d’ailleurs, à peine intronisé, offert à sa grande rivale des primaires, Hillary Clinton, le poste de secrétaire d’État ? Il en fut pleinement récompensé pendant les quatre années qui suivirent, trouvant en elle un lieutenant compétent, efficace, pleinement loyal qui sut, au même titre que le vice-président Joseph Biden, seconder avec brio l’action diplomatique du président.

L’arrivée au pouvoir de Barack Obama se situa dans le pire contexte possible. Le cataclysme financier qui emporta Wall Street à l’entrée de l’automne 2008 après la faillite de Lehman Brothers fut certes traité par l’administration Bush à son crépuscule plus que par le nouveau président, tant l’urgence était grande. Mais la violence de la crise financière comme les conséquences économiques qui s’ensuivirent devaient peser sur tout son mandat, en dictant leurs propres priorités, et en colorant d’urgence les relations de Washington avec ses grands partenaires, au premier rang desquels la Chine et l’Union européenne. La liberté de manoeuvre de la nouvelle administration s’en trouva forcément limitée.

Barack Obama s’attacha néanmoins à définir dès son entrée à la Maison-Blanche un véritable New Deal diplomatique. L’état des lieux lui dictait la définition d’une approche entièrement différente de celle suivie par son prédécesseur. Englués en Irak depuis 2003 et en Afghanistan depuis 2001 dans des guerres à l’issue très incertaine, les États-Unis, qui y dépensaient fortune financière et crédit politique, se devaient de trouver une sortie. Le primat de la « guerre contre le terrorisme », notion évanescente aux contours indécis, avait brouillé la stratégie américaine au Proche et Moyen-Orient. L’invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein avaient marqué le début d’une occupation américaine très mal perçue, et bouleversé la donne stratégique au Moyen Orient. L’administration Bush avait par ailleurs fait preuve d’une totale passivité dans le conflit israélo-palestinien, se bornant à réaffirmer à chaque occasion un soutien inconditionnel à l’État hébreu, et à donner aux premiers ministres israéliens successifs un nouveau chèque en blanc à chaque visite à Washington. Les États-Unis faisait l’objet d’un rejet total dans le monde musulman. Dans le reste du monde, le rejet des dogmes néoconservateurs et descomportements brutaux de l’administration Bush était presque aussi fort : le manichéisme primaire (« Qui n’est pas avec nous est contre nous »…), le mépris affiché des Nations unies (l’intervention en Irak avait été décidée sans leur mandat), la théorie de la guerre préventive et les décisions unilatérales (comme l’abrogation par Washington sans l’accord de Moscou du traité ABM (anti-ballistic missils), jugée nécessaire comme préalable au déploiement d’une défense antimissile) avaient donné aux États-Unis une image très négative à l’étranger. L’extrême brutalité du régime antiterroriste à Guantanamo comme les sévices de la soldatesque américaine à Abou Ghraïb avaient achevé de donner à cette image un caractère désastreux.

Obama avait pleinement réalisé tout cela. Aussi s’attacha-t-il à rompre avec ce lourd passé. Il revint dès ses premières initiatives à la tradition wilsonienne à laquelle avaient été fidèles la plupart des administrations démocrates : s’appuyer sur les Nations unies, promouvoir le multilatéralisme, défendre partout les droits de l’homme, prôner le désarmement, rechercher une solution pacifique des conflits, dans la tradition de l’auteur des « quatorze points » et del’inventeur de la Société des nations. Mais Obama s’interdisait en même temps toute approche doctrinaire. Dans le droit-fil de ses prédécesseurs démocrates, Roosevelt, Truman, Kennedy puis Johnson, Clinton enfin, le retour à cette tradition se teintait de réalisme, et l’idéalisme faisait une place au pragmatisme, qui avait tant fait défaut à Jimmy Carter. Obama entreprit de nouer un dialogue aussi constructif que possible avec les grands partenaires, multipliant des consultations ouvertes avec ses alliés comme avec Moscou, Pékin ou Delhi, et prit soin de ne pas prendre d’initiative qui ne s’appuie sur un consensus multilatéral. En même temps, il tendit la main aux adversaires, quitte à encourir de vives critiques, en se réservant la possibilité de recourir à des pressions plus fortes si la main tendue devait être refusée : c’est ce qu’il fit avec Téhéran dans son discours de mars 2009 à l’occasion du Nouvel An iranien.

Cette nouvelle diplomatie se traduisit, dès les premiers mois de l’administration Obama, par une succession de déclarations, de voyages et d’initiatives axés autour de quatre grandes priorités. La première d’entre elles consistait à restaurer l’image des États-Unis dans le monde et à revenir aux valeurs humanistes de la tradition américaine. Le nouveau président annonça ainsi très vite la fermeture prochaine de Guantanamo (mesure qui devait hélas se révéler beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre qu’il ne l’avait imaginé). Il réaffirma avec vigueur son engagement de campagne de retirer toutes les troupes américaines d’Irak avant la fin de l’année 2011. Il multiplia en outre les gestes de confiance et de conciliation à l’égard des Nations unies, et vint prononcer un grand discours de politique étrangère à l’Assemblée générale de 2009. En même temps, il travaillait au sein du G8 et du G20 à montrer son attachement
au multilatéralisme et à la coopération internationale.
Parallèlement, M. Obama travailla à instaurer des relations plus apaisées avec ses partenaires les plus névralgiques. Il fit une priorité de la recherche d’une relation nouvelle avec l’islam.
Après avoir réservé à la Turquie l’une de ses premières visites à l’étranger, il prononça au Caire, en juin 2009, un discours à l’adresse du monde musulman qui définissait la charte d’une nouvelle approche américaine ouverte, conciliante, respectueuse des croyances, des valeurs et de la civilisation de l’islam. Joignant le geste à la parole, il confirma sur le terrain la volonté américaine de mettre fin à l’occupation de l’Irak, et surtout entreprit de donner une haute priorité à la réanimation du processus de paix entre Israël et les Palestiniens. Renouant avec les efforts trop tardifs de Bill Clinton, cette dernière initiative était particulièrement courageuse et bienvenue : Barack Obama était le premier président des États-Unis à s’y atteler avec énergie dès la première année de son premier mandat. Avec la Russie, la diplomatie américaine entreprit de restaurer une relation confiante. Dès la conférence de la Werkunde à Munich en février 2009, le vice-président Biden, dûment mandaté par Obama, déclara vouloir « remettre les compteurs à zéro » (« press the reset button») avec Moscou. Cette attitude devait amener Washington, quelques mois plus tard, à renoncer à son intention de déployer en Pologne des intercepteurs antimissiles, et en République tchèque un radar géant. Avec la Chine enfin, Obama entreprit un effort de longue haleine pour nouer avec les dirigeants de Pékin un dialogue politique et économique qui alla jusqu’à éveiller chez certains le fantasme de l’apparition d’un G2 sino-américain destiné à régenter les affaires du monde.
Le troisième objectif de la nouvelle diplomatie américaine consista à réduire l’engagement militaire des États-Unis au Moyen-Orient et en Asie méridionale pour retrouver une plus grande liberté stratégique. Le président Obama fit très tôt le constat que la présence militaire américaine au Moyen-Orient était trop coûteuse en termes d’effectifs comme en termes financiers, et que la réduire n’était pas incompatible avec le maintien d’un effort très ciblé pour lutter contre les points d’appui terroristes au Moyen-Orient, en Afghanistan, au Yémen et dans la Corne de l’Afrique. La décision de retirer les troupes américaines d’Irak avant la fin de l’année 2011, fermement maintenue malgré les objections de certains chefs militaires, s’inscrit dans cette perspective. La définition d’une nouvelle stratégie pour l’Afghanistan, fixant à la fin de l’année 2014 un horizon pour le retrait des effectifs engagés, procède de la même démarche. En même temps, les forces américaines démontraient par leurs opérations très ciblées en Afghanistan et au Pakistan qu’elles continuaient de tout mettre en oeuvre pour décapiter al-Qaida, mais sans pour autant que ces actions très ponctuelles et opportunistes soient présentées comme un fondement de la politique étrangère américaine.

Enfin la volonté de restaurer le leadership américain sur les grands sujets globaux a constitué le quatrième grand axe de la diplomatie du président Obama. Celui-ci plaça au premier rang de ses priorités la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, allant jusqu’à préconiser en termes chaleureux leur abolition complète. Ce fut l’objet du discours de Prague d’avril 2009, qui ranima des échos assourdis de l’idéalisme de Jimmy Carter. De nombreuses initiatives concrètes vinrent bientôt étayer cette démarche, notamment l’adoption de sanctions contre les efforts de prolifération de l’Iran et de la Corée du Nord ou la conclusion avec le président Medvedev du traité New Start (Strategic Arms Reduction Treaty) réduisant les têtes nucléaires stratégiques américaines et russes. Au-delà des questions stratégiques, Barack Obama nourrit un temps au début de son mandat l’espoir de restaurer le leadership américain en matière d’environnement et de réchauffement climatique. Dans le domaine économique, il s’attacha de même à encourager les efforts du G20 en matière de gouvernance mondiale, et encouragea ceux du Congrès pour réformer et renforcer la régulation financière, qui devaient aboutir au vote de la loi Dodds-Frank.

Un bilan très mitigé

Cette nouvelle diplomatie fut articulée au fil des mois par le président Obama lui-même. Tout au long de l’année 2009, le nouveau président mit son charisme, son art oratoire et son élégance au service de l’énoncé des objectifs poursuivis par sa diplomatie, sillonnant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, et alternant avec doigté déclarations et initiatives. En chef d’orchestre avisé, il fit relayer son effort par le vice-président Joe Biden, la secrétaire d’État Hillary Clinton et le secrétaire à la Défense Robert Gates, auquel succéda en 2011 Leon
Panetta. Les opinions étrangères applaudirent souvent, notamment en Europe. Moscou, Pékin et l’opinion publique arabe se montrèrent beaucoup plus réticentes. L’opinion américaine elle-même resta partagée, M. Obama suscitant toujours chez les plus conservateurs de ses opposants républicains une réaction de rejet viscérale.

Avec le recul, il apparaît aujourd’hui que l’inspiration de cette diplomatie était sincère, et l’analyse très souvent juste. Dans son effort de rupture avec la diplomatie néoconservatrice de son prédécesseur, le président Obama a utilisé les mots qu’il fallait, fait les gestes qu’il fallait faire et pris nombre d’initiatives qu’il fallait prendre. Le monde hélas reste sourd aux bonnes intentions, et celles-ci se heurtent à une réalité qui résiste, et se venge même souvent. Le bilan de cette diplomatie souvent brillante apparaît aujourd’hui très mitigé.

Barack Obama a en effet accumulé en abondance échecs et  déceptions. Le plus retentissant de ces échecs a certainement été son effort pour raviver le processus de paix israélo-palestinien. L’analyse qui l’avait conduit à donner à celui-ci une haute priorité était on ne peut plus juste. Mais en s’attelant à cette tâche redoutable, M. Obama commit une erreur stratégique majeure : exiger d’Israël un gel complet, de la colonisation dans les territoires occupés sans disposer des moyens de l’imposer. Les dirigeants israéliens lui infligèrent avec constance camouflet sur camouflet en égrenant des annoncesde nouvelles mises en chantier aux moments les plus embarrassants pour Washington. Lorsque M. Obama, mesurant mieux la difficulté d’obtenir satisfaction, assouplit les instructions qu’il donna à ses représentants sans modifier pour autant son discours public, il ouvrit une brèche dans laquelle s’engouffra promptement le nouveau Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Israël n’obtempérapas, et Washington dut renoncer publiquement, par la voix d’Hillary Clinton, à ses exigences. En s’enfonçant dans cette impasse et en essuyant ce revers, Obama s’aliéna l’opinion israélienne, comme une grande
partie de l’opinion américaine, tout en suscitant une vive déception chez les Palestiniens, qui avaient été détournés de la table de négociation par l’espoir de voir Washington imposer à Israël le gel de la colonisation. Le président américain perdit ainsi sur les deux tableaux.
Cet échec fut amplifié par l’opposition américaine à la candidature de la Palestine aux Nations unies. Alors que dans son discours de septembre 2009 à l’Assemblée générale M. Obama avait évoqué son espoir de voir l’ONU accueillir un jour un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël, les États-Unis opposèrent à l’automne 2011 leur veto à une candidature palestinienne présentée à l’emporte-pièce par Mahmoud Abbas, et jugée prématurée par Washington. Le fiasco était décidément complet, et l’objectif d’un accord de paix paraît aujourd’hui plus que jamais hors de portée.

L’imbroglio afghano-pakistanais constitue un autre échec, même s’il est plus relatif. La redéfinition de la stratégie américaine en Afghanistan fut précédée d’une longue réflexion, qui occupa tout l’hiver 2009 et le printemps 2010 et donna fâcheusement une impression d’hésitation et d’indécision. La politique de pacification préconisée par le général McChrystal, puis par son successeur, le général Petraeus, montrait ses limites. En décidant simultanément l’augmentation à cent trente mille hommes des effectifs américains sur le terrain pour une durée limitée, et l’annonce du retrait des troupes à la fin de l’année 2014, le président s’arrêta finalement sur une cote mal taillée. La situation paraît aujourd’hui d’autant plus inextricable que les relations restent difficiles avec les autorités de Kaboul, que l’aide à l’économie et aux forces afghanes n’a pas permis de gagner les coeurs, et que les multiples bavures et dommages collatéraux des attaques par drones suscitent un fort rejet des forces
étrangères par les populations touchées. Les relations devenues exécrables avec le Pakistan achèvent d’envenimer les choses.

La liste des autres déceptions est longue et presque fastidieuse. L’Irak continue, après le départ des troupes américaines, de se débattre dans un chaos politique désormais installé et toujours sanglant. Les opinions publiques arabes continuent de vouer les États-Unis aux gémonies. Le Pakistan continue, lui, en dépit de son alliance théorique avec Washington, de mener sans vergogne un double jeu avéré en Afghanistan, et ne se remet pas de l’avoir vu exposé au grand jour par le raid américain qui est parvenu à éliminer Oussama ben Laden. La politique de remise à plat avec la Russie a échoué : Moscou continue de rejeter la stratégie de l’Otan, de vitupérer le projet américain de défense antimissile, de dénoncer à tout propos, comme aux plus beaux jours de la guerre froide, les menées de la CIA dans sa périphérie, de l’Ukraine à l’Asie centrale. Le retour à la présidence de Vladimir Poutine, en mars 2012, n’arrange rien : les accents belliqueux de cet Homo sovieticus parfait achèvent d’estomper le ton plus conciliant de Dmitri Medvedev, qui a pu un instant faire illusion, mais dont l’inanité est aujourd’hui patente. Avec la Chine, les relations restent difficiles et peu confiantes, et la visite à Pékin et à Shanghai de M. Obama à l’automne 2009 a été reçue très fraîchement : le contentieux latent demeure lourd, qu’il s’agisse des questions commerciales ou du taux de change du yuan. Les États-Unis s’inquiètent de l’effort d’armement chinois, notamment dans le domaine naval, et la Chine des intentions des États-Unis en mer de Chine du Sud. Enfin, les efforts de prolifération nucléaire de l’Iran et de la Corée du Nord continuent d’assombrir l’horizon, et les tentatives américaines pour renouer le dialogue avec Téhéran et Pyongyang ont été ignorées ou bafouées.

Même si les échecs sont nombreux et parfois lourds, il faut toutefois se garder de noircir le tableau. Le président Obama a malgré tout engrangé chemin faisant quelques succès notables. Le retrait des troupes et le désengagement politique d’Irak sont à mettre au crédit du président, même si l’accord avec Bagdad sur le calendrier de retrait avait été signé par l’administration Bush. C’est l’administration Obama qui l’a scrupuleusement respecté, résistant parfois aux objections des chefs militaires, et c’est elle qui s’évertue aujourd’hui à ne pas intervenir dans les affaires intérieures irakiennes, en dépit des sollicitations
multiples et de la crainte du chaos ou d’une inféodation à Téhéran du gouvernement de Bagdad. Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme,
des coups sévères ont été portés à al-Qaida, au Pakistan, en Irak, en Somalie ou au Yémen. Le raid des Navy Seals, qui a conduit à l’exécution d’Oussama ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abottabad, restera dans l’histoire comme un succès retentissant du président Obama, qui y aura fait preuve d’un esprit de décision exceptionnel et d’un jugement sûr en faisant prévaloir la portée symbolique immense de ce succès sur toute autre considération de tactique diplomatique.

Dans le domaine de la prolifération nucléaire, l’absence de solution négociée avec l’Iran et la Corée du Nord ne saurait faire oublier que Washington et ses partenaires sont parvenus, dans l’un comme dans l’autre cas, à différer les échéances et à gagner du temps. Dans le cas de la Corée du Nord, les États-Unis se sont reposés sur un dialogue nourri avec la Chine, et ont su calmer les appréhensions de leurs alliés japonais et sud-coréens. Dans celui de l’Iran, ils ont réussi, en recourant à des cyber-attaques coordonnées avec Israël, à retarder la mise en place des centrifugeuses iraniennes, gagnant ainsi sans doute deux ou trois ans. Mais ils ont surtout obtenu de l’ensemble de leurs partenaires que ceux-ci votent au Conseil de sécurité des résolutions plaçant l’Iran sous un régime de sanctions économiques et financières sévères, qui commencent à étrangler l’économie iranienne – succès diplomatique en soi remarquable, qui permet jusqu’à ce jour de contrôler les impatiences israéliennes, et de poursuivre les efforts diplomatiques.

Le fait que Washington soit parvenu à convaincre Moscou de se rallier à ce régime de sanctions constitue en soi un succès diplomatique important, et amène à nuancer le jugement sur la relation russo-américaine. Il faut y ajouter la conclusion de l’accord New Start, et sa ratification par le Sénat, qui sont également un succès important, et une date dans l’histoire du contrôle des armements. Même si méfiance et tensions continuent de caractériser la relation avec Moscou, ces deux succès montrent que le pragmatisme peut parfois l’emporter. Il en va de même avec la Chine. Si la relation de Washington avec Pékin demeure, on l’a dit, peu confiante et teintée de lourdes arrière-pensées,
les deux gouvernements font constamment preuve dans la vie courante d’un grand esprit de responsabilité, et gèrent avec prudence une relation délicate, qu’ils veillent à ne jamais laisser s’envenimer. L’épisode récent de la gestion de la crise potentielle occasionnée, lors de la visite d’Hillary Clinton à Pékin, par le dissident chinois qui avait cherché refuge à l’ambassade des États-Unis en est un exemple très illustratif.

Enfin, le traitement par Washington des crises qui secouent le monde arabe depuis le début de l’hiver 2011 est sans doute à mettre dans la partie positive du bilan. Certes, les États-Unis, pas plus que leurs alliés européens, n’avaient vu venir ce que l’on a appelé les « printemps arabes ». À l’évidence Barack Obama a été pris de court, et a hésité sur la marche à suivre au fil des événements.
À Bahreïn, la diplomatie américaine a d’abord prodigué des conseils de modération tant aux autorités locales qu’au gouvernement saoudien, avant de s’incliner devant la décision de Riyad d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre. En Égypte, pays stratégique entre tous, Washington a prodigué son soutien aux militaires avant de se résoudre in extremis à lâcher le président Moubarak, lorsque la situation est devenue intenable. Mais à chaque fois l’attitude américaine est restée dictée par l’esprit qui avait inspiré le discours du Caire. Washington a toujours su marquer sympathie et considération pour les aspirations exprimées par les foules rassemblées place Tahrir, ou à Tunis et à Sanaa, et, en respectant la soif de justice et de démocratie qui s’exprimait avec éclat, a su rester fidèle à ses valeurs et demeurer ainsi « du bon côté de l’Histoire », quoiqu’il pût en coûter sur le plan tactique. Grâce à cette attitude, les États-Unis, tout compte fait, se sortent bien à ce jour des « printemps arabes ». Ils ont su aussi rester en retrait partout où leurs intérêts stratégiques n’étaient pas primordiaux – ainsi en Tunisie, ou même en Libye, où ils ont certes rendu possible l’intervention militaire autorisée par le Conseil de sécurité et la Ligue arabe, mais ont laissé leurs alliés français et britanniques en assumer la charge.

Le bilan, pour décevant qu’il soit, est donc loin d’être aussi négatif que ne le disent les détracteurs du président sortant, ou les obamaniaques européens déçus. Certes, on peut reprocher au président son style personnel, et notamment sa froideur ou le caractère souvent cérébral de ses analyses ou de ses décisions. Mais il faut toute la mauvaise foi de ses ennemis conservateurs républicains pour accuser d’indécision ou de faiblesse l’homme qui a décidé le raid d’Abottabad, -et a su traiter avec sang-froid et retenue les provocations iraniennes comme la duplicité pakistanaise. Le président Obama, tout au long de ces quatre années, a eu à traiter avec des partenaires difficiles, de M. Poutine à M. Netanyahou en passant par les mollahs iraniens, et à faire face à des situations inextricables ou insolubles (Israël-Palestine, Iran, le triangle Afghanistan-Pakistan-Inde, les soubresauts du monde arabe). Il a su malgré tout gérer sans trop de dommages la plupart de ces situations, et conjurer la menace de crises violentes ou de conflits militaires, le tout en restant fidèle aux valeurs qu’il a énoncées, et en sachant faire au réalisme les concessions qui conviennent.

Maintenir le cap 

Ce savant dosage de fermeté sur les principes et de pragmatisme dans l’action constitue la marque de la diplomatie de Barack Obama. On est loin de Jimmy Carter, à qui certains ont voulu tropsouvent le comparer. L’idéalisme et l’approche wilsonienne sont certes bien présents (on pense au discours de Prague), mais l’analyse reste froide, et le sens des réalités et des rapports de force nuance toujours la part d’idéologie que peut comporter la définition
de la politique étrangère. Tout permet de penser que le président Obama, s’il est réélu, saura maintenir sa ligne politique face aux défis du temps présent.

Il en apporte quotidiennement la preuve dans les affaires courantes. Partout, il s’en tient à sa ligne de conduite habituelle : concertation avec les alliés et les autres partenaires, recherche systématique d’une légitimité multilatérale pour toute intervention, respect des valeurs démocratiques et des aspirations populaires, mais aussi refus d’exclure le recours à la manière forte si nécessaire. Il en va ainsi de son attitude dans les crises qui secouent le monde arabe. En Égypte, la diplomatie américaine observe volontairement un profil bas, respecte le verdict des urnes, reconnaît le nouveau président élu, mais conserve un contact aussi étroit que possible avec le Conseil des forces armées, qui apparaît à Washington comme le garant de l’accord de paix avec Israël et le contrepoids nécessaire à la montée des Frères musulmans. En même temps, Washington évite de s’immiscer dans la querelle institutionnelle, et continue de manifester sa sympathie à l’égard des aspirations démocratiques exprimées
par le peuple égyptien.

En Syrie, Washington s’évertue également à la patience en dépit des considérations humanitaires, de la pression des opinions publiques occidentales, et surtout de l’énormité de l’enjeu stratégique. Séparer la Syrie de son allié iranien constitue en effet un objectif prioritaire de la diplomatie américaine : la fin, qui apparaît désormais inéluctable, du régime de la dynastie Asad permettrait d’atteindre ce but, quelles que soient les lourdes incertitudes qui pèsent sur la nature de l’opposition syrienne et celle du régime appelé à succéder à Bachar. Mais le président Obama se garde de presser le mouvement. Il écarte pour l’instant toute idée d’intervention militaire, et subordonne toute autre formule (corridors humanitaires, aide aux insurgés, envoi d’observateurs internationaux, sanctions contre le régime en place…) à l’obtention d’un mandat du Conseil de sécurité. Les trois vetos successifs de la Russie, secondée par la Chine, ne l’ont pas jusqu’à présent écarté de cette ligne de conduite. Le président laisse se développer une situation qui semble devoir aboutir à la déliquescence ou à l’effondrement du régime en place tout en se gardant d’agir sans mandat international, ou de brusquer dangereusement le cours des choses.

De même s’efforce-t-il de temporiser dans la question du programme nucléaire iranien. Tout en serrant au maximum la vis des sanctions économiques, il s’est prêté à la reprise de négociations entre l’Iran et le groupe des 3 + 3 (États-Unis, Russie, ONU, France, Royaume-Uni, Allemagne), bien que les trois séances de
négociations tenues depuis juin n’aient permis aucune avancée. Cette double approche lui est nécessaire pour refréner les pulsions d’Israël, qui menace de plus en plus ouvertement d’entreprendre une action militaire contre les installations nucléaires iraniennes. M. Obama souhaite évidemment retarder les échéances au maximum, et s’attache à conjurer le risque d’une crise majeure au Moyen Orient avant l’élection de novembre. Ce souci compréhensible se
conjugue à la conscience qu’il a du caractère inacceptable d’un armement nucléaire de l’Iran pour le contraindre à cet exercice de funambulisme, dans lequel la nécessité de s’assurer du soutien de la Russie constitue l’un des éléments les plus délicats.

M. Obama observe le même mélange de fermeté et de prudence dans son traitement de la relation avec le Pakistan. Il continue de tenir la dragée haute aux militaires pakistanais, qui pourtant soutiennent toujours en sous-main les talibans afghans, tout en luttant contre leurs propres jihadistes. Il s’est résolu à faire les concessions nécessaires pour obtenir que les convois de ravitaillement des troupes de l’Otan puissent être de nouveau acheminés à travers les cols de la frontière afghane. Il s’évertue à soutenir les autorités civiles d’Islamabad,
dont la faiblesse et la corruption sont pourtant patentes, tout en s’efforçant de ne pas envenimer leur conflit avec le pouvoir militaire.

Enfin, les États-Unis font preuve de la plus grande retenue à l’égard des autorités chinoises, qu’il s’agisse des questions liées aux droits de l’homme, ou de leurs agissements en mer de Chine du Sud. La Chine a en effet multiplié ces derniers temps les incidents maritimes avec beaucoup de ses voisins asiatiques, le Japon, les Philippines, la Corée du Sud, tous alliés des États-Unis. Elle entretient un conflit chronique avec le Viêt Nam au sujet des îles Paracel. Elle se refuse à recourir à l’arbitrage, et se borne à réitérer sans la préciser sa revendication d’une souveraineté d’ensemble sur la mer de Chine du Sud. Washington veille à ne pas se laisser entraîner dans ces conflits territoriaux et se borne à insister sur son exigence du respect absolu de la liberté de navigation en haute mer. Vigilance et prudence caractérisent l’attitude américaine, mais M. Obama ne craint pas de réaffirmer ses principes, tout en maintenant une forte présence navale américaine dans la région. Cette retenue lui permet de continuer de travailler avec la Chine sur d’autres sujets névralgiques, au premier rang desquels celui de la Corée du Nord.

Par-delà ce mode de comportement devenu très caractéristique de sa diplomatie, M. Obama a aussi défini quelques grandes orientations porteuses d’avenir, qui pourraient constituer autant d’axes de politique étrangère pendant un deuxième mandat.

Le premier peut se définir comme une acceptation graduelle de la nouvelle multipolarité du monde. La politique étrangère de l’administration Bush et des républicains se caractérisait par la réaffirmation presque incantatoire du leadership américain, et le refus de toute idée d’un monde multipolaire. M. Obama au contraire a tiré la leçon de la crise économique et financière qui a affaibli les États-Unis depuis l’automne 2008, de la montée des grands pays émergents, de leur souci de contester le statu quo, et de la nécessité de travailler avec eux pour promouvoir, au G20 par exemple, une nouvelle gouvernance mondiale. Ce souci d’entretenir une concertation fructueuse
avec les nouveaux dépositaires de la puissance va au-delà du jeu des institutions établies, et des instances des Nations unies. En dépit de tous les écueils et du peu d’encouragements reçus de la part de ces interlocuteurs, le président Obama s’efforce de développer un vrai dialogue stratégique avec la Chine, l’Inde, la Russie ou le Brésil et la Turquie. Le chemin est long et difficile. Mais ce n’est pas le moindre des mérites de la diplomatie du président Obama que de s’efforcer de cheminer avec constance sur cette voie délicate.

Un deuxième axe consiste à ne pas se laisser entraîner dans de nouveaux conflits armés au Moyen-Orient. Le président Obama souhaite réduire le dispositif américain dans cette région, d’où le désengagement en Irak et en Afghanistan, et se concentrer sur ce qui est vital, c’est-à-dire la libre circulation des approvisionnements pétroliers et la liberté de trafic dans le Golfe, le détroit d’Ormuz et l’océan Indien. La stabilité de l’Arabie saoudite et des émirats du Golfe constitue pour  les États-Unis un enjeu stratégique majeur. Ils doivent donc, pour M. Obama, se concentrer sur la nécessité de contenir la puissance
iranienne tout en évitant si possible d’avoir à l’affronter militairement. L’avenir des alliés de l’Iran (la Syrie de Bachar al-Asad, le Hezbollah libanais) constitue autant de pions dans cette partie délicate. Pour la gagner, M. Obama joue de tout le clavier du multilatéralisme et des organisations internationales : Conseil de sécurité, Ligue arabe, AIEA. Les États-Unis veillent constamment à disposer d’un large soutien de la communauté internationale, et réfrènent autant que possible toute tentation d’action unilatérale d’Israël.

Troisième axe majeur de cette diplomatie obamienne : « faire pivoter » (terme consacré par les déclarations officielles américaines) la stratégie de sécurité vers la zone Asie-Pacifique. M. Obama est convaincu que l’avenir des États-Unis se jouera beaucoup plus dans le Pacifique que dans l’Atlantique ou en Méditerranée. Le basculement du moteur de la croissance économique mondiale vers cette région achève de l’en convaincre. L’Europe constitue une préoccupation majeure d’équilibre économique (les soubresauts de la zone euro et la menace d’une récession prolongée en Europe jettent une grande ombre sur la possibilité d’un rebond économique américain), mais n’est plus à proprement parler un enjeu stratégique. Les États-Unis s’inquiètent en revanche de l’accroissement des dépenses militaires chinoises, des efforts de Pékin pour se doter d’une marine de guerre moderne, des prétentions chinoises en mer de Chine du Sud. Depuis l’automne 2011 et la parution dans la revue Foreign Policy d’un article doctrinal de la secrétaire d’État Hillary Clinton, les États-Unis articulent publiquement cette doctrine du pivotage stratégique, et l’ont déclinée au fil devisites en Asie orientale du secrétaire à la Défense Leon Panetta, puis du président Obama lui-même. Les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé que les réductions à venir du budget de la défense ne toucheraient pas le déploiement américain en Extrême-Orient, et qu’ils maintiendraient en permanence sept de leurs onze groupes de porte-avions dans le Pacifique. Ils développent par ailleurs en Australie une nouvelle base militaire où s’établit un premier contingent de marines. En affirmant avec une telle détermination la présence stratégique des États-Unis dans la région, M. Obama réaffirme du même coup, à l’intention de ses alliés asiatiques, un leadership clair. La Chine ne peut qu’en prendre acte.

Le bilan de quatre années de politique étrangère de Barack Obama est donc, on le voit, très mitigé. Les intentions généreuses n’ont guère été payées de retour, le monde demeure instable et dangereux et le prix Nobel de la Paix qui lui a été décerné, quelques mois à peine après son entrée en fonctions, était bien sûr très prématuré. Les contempteurs ont beau jeu de lui reprocher ses échecs, ses renoncements ou son indécision. Il n’est pas dit que quiconque
eût mieux réussi que lui. À son crédit, les grands intérêts stratégiques des États-Unis ont été sauvegardés, la lutte contre le terrorisme a enregistré des succès, bien des pièges ont été évités, et les troupes américaines n’ont été engagées dans aucun nouveau conflit.

À l’inverse, ses détracteurs font remarquer que M. Obama n’a pas obtenu d’avancée stratégique majeure, et que sa présidence n’a été marquée par aucun nouveau grand développement. C’est sans doute vrai. Mais le contexte intérieur américain ne s’y prête guère. L’acrimonie du débat politique au Congrès, l’hostilité de la Chambre des représentants, la catastrophe financière évitée de justesse à l’automne 2008, le contexte de stagnation économique qui prévaut depuis lors ne constituent pas des circonstances favorables, et limitent considérablement la marge de manoeuvre du président. Les tenants de la thèse du déclin américain, nombreux même aux États-Unis, y puiseront de nouveaux arguments. Les États-Unis ne peuvent pas tout dans un monde où leur puissance relative, si considérable qu’elle demeure, est néanmoins en déclin.

Les enjeux de politique étrangère n’auront occupé dans la campagne qu’une place presque négligeable. Mais le choix du 6 novembre est clair. Si le président Obama est réélu, le monde saura qu’il peut compter sur la poursuite d’une action diplomatique prudente et pragmatique, établie sur des principes clairs, qui ne peut évidemment garantir le succès mais qui a souvent prouvé sa pertinence dans les situations les plus délicates. À l’inverse, une victoire de Mitt Romney serait annonciatrice du retour à la tradition républicaine d’une politique de force, soumise à nouveau aux dogmes néoconservateurs. La victoire du candidat républicain serait sans doute porteuse de nouvelles tentations d’unilatéralisme, de conflits commerciaux ou de risques d’affrontements avec la Chine, et certainement d’un soutien inconditionnel à Israël (2).

Les électeurs américains ont le choix. Ce n’est cependant pas sur ces critères qu’ils seront amenés à trancher entre les deux candidats. Les préoccupations nationales et les inquiétudes économiques dicteront leur décision. La politique étrangère, comme l’intendance, suivra. Paris,

                                                                                                                          le 4 septembre 2012

1. De manière significative, M. Romney ne leur a consacré que 3 minutes sur les 39 qu’a duré son discours d’investiture à la Convention républicaine de Tampa le 30 août.
2. M. Netanyahou n’affiche-t-il pas ouvertement sa préférence pour le candidat
Romney ?

. François Bujon de l’Estang, membre du comité de rédaction de la Revue des
Deux Mondes, est ambassadeur de France. Il a été notamment conseiller diplomatique du Premier ministre de 1986 à 1988, ambassadeur au Canada de 1989 à 1991 et aux États-Unis de 1995 à 2002. Il est aujourd’hui président d’une société de conseil en stratégies internationales.

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