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Les cercles de l’influence

UNE VIE APRÈS LA DIPLOMATIE – Après avoir représenté la France à travers la planète, les ambassadeurs gardent souvent des postes d’influence. Aujourd’hui, un diplomate devenu banquier

La Croix – 29/08/2011

Mercredi, François Bujon de l’Estang sera à l’Élysée pour écouter le discours de Nicolas Sarkozy à la conférence des ambassadeurs, qui marque depuis une vingtaine d’années la rentrée diplomatique. Cela fait pourtant plus de huit ans qu’il a abandonné la carrière. Mais pour avoir représenté la France à Washington, de 1995 à 2002, ce diplomate de haut rang a accédé à la dignité d’ambassadeur de France. Ce titre honorifique lui permet de continuer à assister à de telles rencontres officielles.

François Bujon de l’Estang s’y rend par plaisir mais il y trouvera son intérêt. Depuis qu’il a quitté l’ambassade à Washington, il travaille pour Citigroup, l’une des principales institutions financières américaines. Jusqu’au 31 décembre de l’an dernier, il a été président non exécutif de la filiale française et membre du conseil consultatif international. Aujourd’hui, il y garde une activité de conseil. Points communs à ces deux versants de sa carrière : un intérêt passionné pour la vie internationale et un goût pour la médiation, l’explication.

« Le diplomate est investi de l’intérêt général de son pays, explique cet habitué des tribunes de conférence.

Représentant d’un gouvernement, porteparole de son pays, conseil auprès de ses autorités de tutelle, l’ambassadeur effectue un vrai service public. Mais il n’a pas la liberté de ses propos. Il est astreint au devoir de réserve. Il s’interroge sur son influence dans la machine gouvernementale. Il a parfois l’impression de s’adresser à un grand trou noir. L’homme d’affaires, lui, a un horizon rétréci mais des objectifs concrets et des résultats palpables. En gros, il y a les affaires qui se font, et celles qui ne se font pas. »

Depuis qu’il est chez Citigroup, François Bujon de l’Estang a eu l’occasion de s’empoigner avec Thierry Breton, alors ministre de l’économie, lorsque sa banque participait à l’OPA hostile du géant sidérurgiste Mittal contre Arcelor. Il a aussi discrètement fait appel à l’ambassadeur de France à Canberra lorsqu’un de ses clients français a cherché – avec succès – à acquérir une société en Australie. Lors de la crise ivoirienne, il a pu profiter des analyses les plus pointues faites à l’Élysée ou au Quai d’Orsay, le siège du ministère des affaires étrangères, lorsque Citigroup devait décider de la conduite à suivre pour ses 150 salariés à Abidjan.

Lui a-t-on reproché, un jour, d’être un « agent des Américains » ? « Je m’attendais à entendre beaucoup plus ce type de réflexion, constate-t-il. J’ai été agréablement surpris. De toute façon, les clients de Citigroup France sont des entreprises françaises. Je jouerais le même rôle si j’étais à la BNP. »

Pour l’ancien ambassadeur, ce travail dans l’univers de la banque se sera révélé « très amusant ». « Un mariage heureux » qui ne l’empêche pas de mener d’autres activités. L’une de conseil, pour son propre compte. D’autres, d’influence. Membre du comité d’honneur de la Revue des deux mondes , il y tient une chronique diplomatique au rythme de trois ou quatre articles par an. Il a été pendant huit ans au conseil d’administration de l’Institut français des relations internationales (Ifri), où il siège à présent au conseil scientifique. Il est membre de la Commission trilatérale et de la FrenchAmerican Foundation, deux organismes qui favorisent les échanges entre hommes d’affaires, politiciens, décideurs et « intellectuels » des pays développés.

À la croisée de tous ces cercles, François Bujon de l’Estang reste un optimiste sur l’avenir de son métier. Ancien assistant du général de Gaulle à l’Élysée, il se souvient que le fondateur de la Ve République n’avait pas même un téléphone sur son bureau, tandis qu’aujourd’hui Nicolas Sarkozy appelle en les tutoyant Angela Merkel ou Barack Obama. « Il y a aujourd’hui de très nombreux acteurs dans les relations internationales, convient-il, et bien des questions se règlent directement au sommet. Mais c’est le diplomate qui dispose de la permanence dans son action. Lui seul peut faire la synthèse. »

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Le 18 décembre 2000, il organise une rencontre Chirac-Bush

Lorsque Jacques Chirac, président de la République, entreprend une visite d’adieu à son homologue américain Bill Clinton, dont le second mandat s’achève, il souhaite profiter de son rapide séjour à Washington pour rencontrer aussi le président élu, George W. Bush. Celui-ci n’étant pas encore en fonction, ce ne peut être qu’un entretien officieux et discret. Ambassadeur aux États-Unis, François Bujon de l’Estang fait alors jouer ses contacts personnels. Il avait déjà rencontré George W. Bush, lorsque celui-ci était gouverneur du Texas, et sa proche conseillère Condoleezza Rice. La rencontre de quarante-cinq minutes aura lieu à la résidence de l’ambassadeur. Jacques Chirac peut alors se targuer d’être le premier chef d’État à s’être entretenu avec le nouveau président. « C’était comme si j’avais sorti un lapin du chapeau », s’amuse l’ancien diplomate.

Jean-Christophe Ploquin

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