Opinion

La Corée du Nord, en toute impunité…

La Corée du Nord vient de procéder avec succès à son troisième essai nucléaire. Divers signes montraient depuis quelques jours que les préparatifs de l’expérience allaient bon train, et Pyong-Yang était naturellement restée sourde à toutes les mises en garde, y compris celle de Pékin. D’après les experts américains et sud-coréens, l’engin a dégagé cette fois une puissance de 6 à 7 kilotonnes (soit la moitié de la bombe d’Hiroshima), ce qui indique clairement, par comparaison avec les deux explosions précédentes, que les ingénieurs nord-coréens ont réussi à faire des progrès sensibles sur la voie de la miniaturisation. Comme la Corée du Nord a lancé, quelques semaines auparavant, un missile à longue portée sous couvert d’envoi d’un satellite et d’affirmation de sa « liberté à accéder à l’exploration spatiale », le message est clair : la Corée du Nord se dote non seulement d’explosifs nucléaires destinés à des missiles intercontinentaux, mais aussi, simultanément, des capacités d’emport. Avis aux populations intéressées.

Le jeune Kim Jong-un s’affirme donc comme le parfait continuateur des efforts de prolifération entrepris par son père Kim Jong-il et son grand-père Kim Il-sung. Les trois générations de dictateurs qui guident depuis la fin de la seconde guerre mondiale les destinées de ce conservatoire du stalinisme qu’est la Corée du Nord cherchent à acquérir la seule police d’assurance qui leur permette de se perpétuer : l’inexpugnabilité que leur conférerait la détention d’un arsenal nucléaire et d’une capacité de dissuasion.

Que va-t-il à présent se passer ? Le monde entier condamne déjà Pyong-Yang, Washington, Séoul et Tokyo expriment leur inquiétude, la Chine, pour la première fois, sa fureur et sa frustration de ne pouvoir se faire entendre des dirigeants nord-coréens. Le Conseil de Sécurité de l’ONU va bien sûr réaffirmer solennellement sa condamnation, de nouvelles sanctions seront même sans doute votées, des gesticulations militaires vont suivre. Et rien n’aura le moindre effet sur la détermination de la Corée du Nord à poursuivre son effort.

Tout porte à croire que les conséquences à long terme sur la sécurité dans l’Asie du Nord-Est seront sérieuses. La Corée du Sud, qui est en pleine transition présidentielle, restera sans doute tout aussi attentiste qu’elle est inquiète : elle se borne pour l’instant à réaffirmer la nécessité et les vertus du dialogue. Le Japon, en proie depuis quelque temps à une fièvre nationaliste inédite, qu’entretient le nouveau gouvernement de M.Shinzo Abe, va puiser dans ce nouveau développement des arguments pour accroître son effort de défense, et les tenants d’un armement nucléaire japonais, qui se font entendre depuis peu (le sujet était encore tabou dans l’archipel jusqu’à des temps très récents), vont pouvoir donner de la voix. La Chine, qui poursuit de son côté son effort de défense, va s’inquiéter ouvertement des velléités japonaises, qui lui sont plus faciles à condamner que les menées de Pyong-Yang. Et les Etats-Unis, déjà très engagés dans le Pacifique, et qui commencent à parler du déploiement d’antimissiles, vont être soumis à des pressions renouvelées de tous leurs alliés asiatiques pour renforcer encore leur présence dans le Pacifique, qui inquiète la Chine et l’incite à intensifier encore son effort d’armement. La logique d’escalade est à l’œuvre.

Or la situation est d’autant plus dangereuse que l’essai nucléaire réussi de la Corée du Nord vient nous rappeler trois vérités fondamentales. La première est que le pouvoir de Kim Jong-un, que l’on pensait il y a encore quelques mois pouvoir être fragile et précaire, apparaît désormais solide et bien assis : à tous les signes du raffermissement de son pouvoir s’ajoutent désormais les deux succès balistique et nucléaire, et tous les hymnes de fierté nationale que chante à plein poumons son formidable appareil de propagande. La deuxième certitude est que la Chine ne fera rien. Elle n’a déjà rien réussi à empêcher, et a démontré à l’envi qu’elle était sans influence réelle sur les décisions de Pyong-Yang.  Elle pourrait bien sûr couper les vivres à son allié nord-coréen pour être sûre de se faire entendre : mais elle redoute tellement l’éventualité d’un effondrement de la Corée du Nord, qui pourrait mener à une réunification de la péninsule sous l’égide des Etats-Unis qu’elle ne prendra pas ce risque, et se résoudra à  laisser faire.

Enfin, la troisième vérité est celle qu’aime le moins à entendre la communauté internationale : celle-ci est incapable d’empêcher un Etat décidé à se doter de l’arme nucléaire d’y parvenir avec constance et détermination. Les efforts de prolifération ont historiquement toujours réussi lorsque cette détermination était inébranlable. L’URSS, la Chine, puis la France l’ont parfaitement démontré jadis. Israêl, l’Inde, le Pakistan, l’ont fait plus récemment. Aujourd’hui, la Corée du Nord et sans doute l’Iran sont engagés dans cette même voie. Il y a tout lieu de craindre que les leçons des épisodes précédents n’aient été parfaitement assimilés par les proliférateurs, sans accroître pour autant  la sagesse ni les moyens d’action de ce que l’on nomme par commodité la communauté internationale.

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