Le 2 novembre dernier, Pékin prenait le monde par surprise en proclamant la création au large de ses côtes, en mer de Chine orientale, d’une « zone d’identification aérienne » dans laquelle tout aéronef, civil ou militaire, quelle que soit sa nationalité, se verrait appelé à s’identifier, à établir un contact radio avec les autorités chinoises, et à communiquer son plan de vol. La zone ainsi désignée s’étend très au-delà de la limite des eaux territoriales chinoises, et par surcroît inclut les îles Senkaku (Diaoyu pour les Chinois), dont la souveraineté est revendiquée par le Japon, qui les occupe et les administre, et par la Chine, ainsi qu’un îlot que la Corée du Sud considère comme lui appartenant.
Cette inclusion n’est nullement fortuite, mais bel et bien délibérée. La nouvelle mesure annoncée par la Chine prolonge et complète sa revendication de souveraineté, proclamée urbi et orbi mais jamais précisée ni documentée, sur l’ensemble des eaux de la mer de Chine. La Chine bande ses muscles, cherche à impressionner Tokyo et Séoul, et à intimider ses voisins. Ces comportements sont au cœur des inquiétudes de tous les Etats asiatiques, qui s’inquiètent ouvertement depuis quelque temps des menées de Pékin, de l’augmentation de ses budgets militaires, et de ses efforts pour se doter d’une puissante marine de guerre. Ce sont eux qui poussent les alliés asiatiques des Etats-Unis à demander à Washington d’augmenter sa présence militaire en Extrême-Orient, et de réaffirmer son engagement dans la région. C’est en large part pour répondre à ces attentes que l’administration Obama a proclamé avec éclat sa doctrine du « pivot » vers l’Asie-Pacifique, considérée désormais comme une priorité stratégique des Etats-Unis.
La gesticulation chinoise, en soi très dangereuse, pourrait bien se retourner contre ses promoteurs. Les Etats-Unis n’auront en effet attendu que deux jours avant d’envoyer deux bombardiers B-52 traverser benoîtement la fameuse zone, sans bien entendu satisfaire aux exigences de Pékin, ni encourir aucune réaction des militaires chinois. Depuis lors, Japonais et Coréens du Sud ont tout-à-tour envoyé des avions militaires patrouiller dans la même zone, sans formalités. Washington, Tokyo et Séoul ont donc décidé de répondre au bluff de Pékin par un véritable bras d’honneur. Que ce soit pure prudence politique ou manque de moyens de détection et d’interception, Pékin a dû se résoudre, pour l’instant, à ne rien faire.
Des incidents restent évidemment possibles, et le jeu est plein de risques. Il rappelle les bombardements périodiques des îles Quemoy et Matsu, destinés en d’autres temps à intimider Taïwan, au risque de provoquer des réactions américaines immédiates. Mais les temps ont changé, et le jeu cette fois n’est pas purement chinois. Jouer avec les sentiments ultra-nationalistes des opinions chinoise ou japonaise peut se révéler extrêmement dangereux, comme l’ont démontré l’année dernière les incidents autour des Senkaku. La fièvre nationaliste peut monter très vite, échapper au contrôle des autorités, engendrer des dérapages. La Chine, à trop tenter pour s’affirmer, court en outre le risque de desservir sa propre cause. Le secrétaire américain à le Défense, Chuck Hagel, vient ainsi de préciser que, sans même qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de souveraineté, les Senkaku étaient administrées par le Japon et entraient de ce fait dans le champ d’application du Traité de Sécurité américano-japonais.
Jamais auparavant les autorités américaines n’avaient indiqué avec une telle clarté qu’en cas de conflit sur cet archipel contesté Washington se trouverait aux côtés du Japon. A trop surenchérir, Pékin vient de compliquer indûment la défense de ses propres intérêts, et de faire encore monter d’un cran, sans aucun profit apparent, la méfiance de ses voisins et partenaires à son égard.