Chronique Diplomatique

Les deux Corées ou la péninsule névralgique

(Revue des Deux Mondes, mars 2012)

Le 17 décembre 2011, une présentatrice de la télévision d’état nord-coréenne annonçait au monde en sanglotant la mort du « Cher Leader » Kim Jong-il. Les organes de presse nord-coréens diffusèrent par la suite très largement des images de foules en pleurs, secouées de sanglots, réunies dans une communion apparemment fervente autour du souvenir de leur dirigeant bien-aimé. Agé sans doute de 69 ans (les kremlinologues de Pyong-Yang discutent encore de son âge véritable, sans doute maquillé par la propagande pour les besoins de la mythologie officielle), Kim Jong-il avait succédé en 1994 à son père Kim Il-sung, fondateur, dirigeant charismatique et dictateur sans pitié d’une Corée du Nord à la fois stalinienne et ultra-nationaliste. Différent de son père à bien des égards, plus mystérieux sans doute, certainement moins flamboyant, Kim Jong-il (qui observa un deuil strict pendant trois ans avant de s’affirmer) avait été dûment préparé par son père à lui succéder. Il choisit bien entendu de se situer dans la parfaite continuité du régime créé par Kim Il-sung, et de s’instituer en grand-prêtre du culte du Fondateur.

La mort de Kim Jong-il n’a pas tout à fait constitué une surprise. Le « Cher Leader » était de santé fragile, et pourrait avoir eu une attaque cardiaque ou un accident cérébral en 2008. Mais il n’a préparé sa succession que tardivement, contrairement à ce qu’avait jadis fait son père. Ce n’est en effet que le 10 octobre 2010, lors de la troisième conférence du Parti du Travail, que son plus jeune fils Kim Jong-un a fait son apparition publique lors d’une gigantesque parade militaire. Il avait été nommé le 28 septembre précédent général de corps d’armée et désigné comme vice-président de la Commission militaire centrale du Parti et vice-directeur du Département Organisation du Comité central. Cette promotion fulgurante d’un jeune homme âgé sans doute à l’époque de 26 ans (comme pour son père, son âge exact est sujet à conjectures) semblait annonciatrice d’une certaine accélération de la détérioration de l’état de santé de Kim Jong-il. Le 28 décembre 2011, après avoir été quelques jours auparavant désigné comme « dirigeant suprême du Parti du Travail, de l’Etat et de l’Armée », le « Grand Successeur » conduisait dans la neige de Pyong-Yang l’extraordinaire cortège funèbre qui emmenait la dépouille mortelle de son père reposer aux côtés de celle de Kim Il-sung.

Cette ascension fulgurante d’un nouveau leader probablement peu préparé à une succession aussi rapide laisse perplexe. En apparence, elle incarne la continuité d’un régime unique au monde, caractérisé par sa dureté, son anachronisme et son isolement : c’est en outre la première fois dans l’histoire du monde communiste qu’une succession dynastique s’est établie sur trois générations. Un tel phénomène n’a aucun précédent. Mais l’inexpérience du « Grand Successeur » recèle en elle-même de nombreuses questions et peut-être des dangers. Publié au lendemain de la cérémonie funèbre de Pyong-Yang , un cartoon repris par l’International Herald Tribune résume assez bienla situation. Il représente un bébé asiatique à lunettes affublé d’un bavoir brodé au nom de Kim Jong-un assis dans un immense fauteuil présidentiel, disparaissant presque derrière un bureau encore plus immense sur lequel reposent deux gros boutons ; derrière lui, un général surmonté de l’inévitable casquette ronde lui glisse à l’oreille : « Celui de droite est pour appeler ta maman, celui de gauche pour déclencher le feu nucléaire ».

Il est difficile de mieux décrire l’anxiété que suscite la succession dynastique qui vient de se dérouler au sein de l’Etat, du Parti et de l’Armée, trinité hiératique et figée dépositaire du destin de la Corée du Nord et de ses 26 millions d’habitants.

Une menace à la paix et à la stabilité en Asie du Nord-Est

Les évènements de décembre ont donc remis le projecteur sur l’aspect névralgique de la question coréenne. La péninsule demeure en effet divisée depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en deux Etats distincts, division cristallisée  par la guerre froide, consacrée dans le sang par une guerre de trois ans (1950 – 1953) qui fit deux millions de morts et des millions de personnes déplacées et de réfugiés, et perpétuée par les destins divergents de deux Etats ethniquement identiques, mais aux caractéristiques totalement opposées.

La question coréenne est avant tout un anachronisme. Elle constitue un pur héritage de la guerre froide. Le régime communiste fut imposé au Nord (seul pays asiatique placé sous occupation soviétique)  par l’Armée rouge, alors que le Sud, libéré de l’occupation japonaise par l’armée américaine, se dotait d’une dictature militaire pro-occidentale. Aucun traité de paix n’a été conclu entre les deux Corées depuis l’armistice signé à Pan Mun-Jom en juillet 1953. La frontière entre les deux Etats, marquée par le 38ème parallèle et longue de 238 kilomètres, est la plus militarisée du monde. Le Nord a environ un million d’hommes sous les armes, le Sud affiche des effectifs de 672.000 hommes. 30.000 soldats américains sont stationnés en permanence sur le territoire de la Corée du Sud, liée depuis les années 1950 par une alliance militaire avec les Etats-Unis. Vingt ans après l’effondrement de l’empire soviétique et la dissolution du pacte de Varsovie, et alors que la Chine s’abandonne aux délices d’un développement économique effréné, cette situation est totalement insolite au XXIème siècle. Elle constitue une survivance d’un âge que l’on serait en droit de croire révolu.

La Corée du Nord constitue en outre un pays sui generis  sans équivalent surla planète. Elle s’est figée au cours des années dans un modèle dérivé du stalinisme, caractérisé par la dictature du parti unique, un goulag concentrationnaire, une propagande omniprésente, un culte délirant de la personnalité du « Grand Dirigeant », et un cocktail étouffant de militarisme forcené et d’économie dirigée. Le communisme s’est ici, du fait de la colonisation japonaise puis de la guerre entre les deux Corées et du complexe d’encerclement hérité de la guerre froide, teinté d’ultra nationalisme – qui explique sans doute, en sus des effets de la propagande et de l’enrégimentation, la ferveur des foules appelées périodiquement à célébrer les beautés du régime. Sa politique étrangère s’est bornée à une confrontation endémique avec la Corée du Sud et à la gestion de ses relations avec Pékin et Moscou. Ce pays autiste  et autarcique défie l’analyse .  Les spécialistes du Département d’Etat américain expliquent volontiers que, pour scruter les profondeurs de la Corée du Nord, il convient de se départir des analyses habituelles appliquées aux autres Etats : c’est, disent-ils la grille d’analyse des sectes qu’il faut utiliser pour essayer de comprendre le régime de Pyong-Yang et de la dynastie des Kim. Cette approche ne manque pas de pertinence.

Le contraste est criant avec l’évolution de la Corée du Sud de l’autre côté du 38ème parallèle. Celle-ci offre en effet l’image de l’une des plus extraordinaires success stories asiatiques. Ses débuts ont certes été laborieux, marqués par une succession de régimes militaires dictatoriaux, par les besoins de la reconstruction, et par une économie du tiers-monde. Mais la Corée du Sud a décollé économiquement dans les années 1980 et les dictatures militaires ont fini par donner naissance, au début des années 1990, à un vrai régime démocratique, qui s’est épanoui autour d’une constitution calquée sur la constitution française de 1958. Ce pays de 49 millions d’habitants est aujourd’hui la douzième puissance économique du monde. Son taux de croissance oscille autour de 5 % par an, et l’économie s’est rapidement relevée de la crise asiatique de la fin de la décennie 1990. La Corée du Sud est membre de l’APEC , de l’ASEAN + 3, de l’OCDE et du G20 (elle a même organisé le sommet du G20 de l’automne 2010 à Séoul). Son économie tournée vers l’exportation et caractérisée par une étroite entente entre les pouvoirs publics et le patronat bénéficie de traités de libre échange conclus avec le Chili, Singapour, l’ASEAN et les Etats-Unis. Son revenu par tête est aujourd’hui comparable à celui de plusieurs pays européens, notamment la Slovénie et l’Espagne. La Corée du Sud entretient bien sûr des relations étroites avec le Japon et les Etats-Unis, mais est aussi le troisième pays fournisseur de la Chine après ces deux pays, et le marché chinois représente aujourd’hui 22 % de ses exportations.

La confrontation entre les deux rivales de la Péninsule fait peser une menace endémique sur la paix et la stabilité de l’Asie du Nord-Est. Les tentatives de dialogue menées à la fin des années 1990, notamment à l’initiative du président sud-coréen Kim Dae-jung, promoteur de la sunshine policy, ont abouti à la tenue de deux rencontres au sommet en 2000 et 2005, et suscité de grands espoirs. Mais elles ont tourné court du fait des initiatives menaçantes de la Corée du Nord.

C’est en effet la situation et le comportement de celle-ci qui constituent une menace permanente pour la région. Lamenace est d’abord celle d’une implosion toujours possible de ce pays à l’économie chancelante. La Corée du Nord, dont l’économie repose sur l’autarcie en application de la doctrine dite du juche (qui signifie « être maître de son destin ») est en effet une économie de subsistance, et la collectivisation forcée de l’agriculture a engendré la pénurie. Lerègne de Kim Jong-il a été marqué, au milieu de la dernière décennie du XXème siècle, par une tragique famine, qui aurait fait, dit-on, près d’un million de morts, et a engendré dans les années suivantes  la naissance d’une économie parallèle et d’un marché noir que les autorités ont cherché par la suite à contrôler par une très brutale réforme monétaire(2009). Le régime a vacillé sur ses bases, et a dû recourir à une vigoureuse répression et à un strict contrôle de ses frontières pour endiguer la fuite d’une vague croissante de réfugiés. Ni Pékin, ni Séoul ne souhaitent que se produise une telle implosion, dont les conséquences seraient imprévisibles. Cette crainte explique la patience que prônent ces deux capitales à l’égard du régime de Pyong-Yang.

A ce danger chronique d’effondrement s’ajoute le poids de la menace militaire. La République Populaireet Démocratique de Corée, toute famélique qu’elle soit, consacre probablement 15 % au moins de son PIB à la défense. Elle entretient une armée surdimensionnée et bien équipée qui fait l’objet de toutes les attentions du pouvoir. Cet effort s’appuie sur la diffusion à longueur d’année d’une propagande hystériquement anti-américaine et anti-japonaise. La Corée du Nord aime à périodiquement bander ses muscles, et son comportement est erratique. Les provocations sont multiples. Au cours de la seule année 1990, deux graves incidents avec la Corée du Sud lui sont directement imputables : en mars 2010 la marine nord-coréenne a ainsi coulé un bateau de guerre sud-coréen, le Cheonan, entraînant la mort de 46 marins ; et en novembre 2010, en réponse à des manœuvres navales sud-coréennes, la Corée du Nord a bombardé sans préavis l’île côtière de Yeonpyeong, appartenant au Sud, tuant quatre personnes et en blessant quelques dizaines. Quelques années plus tôt, le tir d’un missile nord-coréen à longue portée par-dessus l’archipel nippon avait déclenché une véritable fièvre au Japon et suscité une très vive tension avec Tokyo.

Cet essai est évidemment à mettre en relation avec l’effort poursuivi par la Corée du Nord pour se doter de l’arme nucléaire, et de capacités d’emport. Comme dans une fuite en avant le régime nord-coréen s’est en effet lancé avec persévérance depuis une vingtaine d’années dans la voie de la prolifération nucléaire et balistique. Retracer ici la saga des démêlés de Pyong-Yang avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), le Conseil de sécurité et ses principaux partenaires serait inutilement fastidieux. Qu’il suffise de rappeler que la Corée du Nord a dénoncé en 1993 le Traité de Non-Prolifération, avant d’accepter d’entrer avec les Etats-Unis dans un « Cadre agréé «  qui en échange d’une reprise des inspections de l’AIEA et du démantèlement du réacteur plutonigène de Yongbyon a amené les pays occidentaux (Etats-Unis, Corée du Sud, Japon)  à apporter aux Nord-Coréens une aide économique et alimentaire substantielle.  Mais la tension n’a cessé de monter depuis décembre 2002, date à laquelle la Corée du Sud a expulsé les inspecteurs de l’AIEA à la suite de la découverte par les Etats-Unis de la construction d’une usine clandestine d’enrichissement d’uranium. Depuis lors, la Corée du Nord a procédé à deux explosions nucléaires, le 9 octobre 2006 puis le 25 mai 2009. Elle a été de ce fait placée sous sanctions par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux,  mais n’en dispose pas moins, de l’avis  unanime des experts, d’une installation d’enrichissement par centrifugation, peut-être d’une autre installation clandestine, et de 6 à 8 têtes nucléaires opérationnelles

Un casse-tête diplomatique

En se lançant ainsi avec détermination dans l’aventure de la prolifération nucléaire et balistique, au moment même où l’avenir du pays semblait être en jeu, la Corée du Nord s’est peut-être enfoncée dans une impasse. En un sens, elle accroissait sa capacité de nuisance, forçait ses partenaires à se préoccuper de sa stabilité et de sa survie, et se donnait les moyens d’un chantage qui a semblé dans un premier temps porter des fruits. N’a-t-elle pas, avec le « Cadre agréé », réussi à obtenir des Etats-Unis aide et assistance en un moment où il lui fallait franchir tant bien que mal le cap de la grande famine ? Mais peut-être a-t-elle poussé trop loin la surenchère de la prolifération . Les deux essais nucléaires de 2006 et 2009 et les gesticulations balistiques lui ont depuis lors valu une mise sous sanctions internationales et ont accru son isolement. Aujourd’hui, l’impasse paraît totale.

Par-delà l’énigme que constitue son comportement, il est clair que la Corée du Nord pose problème à tous ses interlocuteurs. La Corée du Sud, pour ce qui la concerne, serait naturellement encline  à reprendre ses tentatives  de renouer le dialogue : elle a réagi avec une relative modération aux deux graves incidents de 2010, s’est abstenue de toute tentation de représailles, et le président Lee Myung-bak, qui aime à rappeler le caractère central du dialogue inter-coréen, s’évertue à conserver un ton modéré, et à subordonner la reprise des conversations à un arrêt des programmes nucléaires du Nord. Le Japon a été profondément inquiété par les tirs de missiles. Ceux-ci ont relancé à Tokyo le débat, naguère encore tabou, sur la nécessité d’un sérieux effort de réarmement et sur l’opportunité même de se doter d’une force nucléaire. La Russie, dont les relations restent très fraîches avec les Etats-Unis et mauvaises avec le Japon, nourrit certes des contacts amicaux avec la Corée du Nord, mais ne dispose guère de moyens de pression sur elle.

La Chine semble la seule puissance à détenir une clé dela situation. Elleest la seule à maintenir avec Pyong-Yang un dialogue soutenu. Kim Jong-il s’est rendu à quatre reprises, au cours de ces dernières années, dans la capitale chinoise, et semble s’être consacré à l’étude attentive du « modèle chinois ». La Chine, on le sait, redoute l’éventualité d’un effondrement de la Corée du Nord et du flot de réfugiés qu’il créerait. Mais elle a aussi toutes les raisons de s’inquiéter de la prolifération nucléaire dans la région et de l’éventualité d’un conflit que pourrait créer une erreur de calcul, ou une mauvaise manœuvre politique des dirigeants de Pyong-Yang.

De quelle influence réelle les dirigeants chinois disposent-ils sur la Corée du Nord ? L’économie de celle-ci repose certes en grande partie sur les échanges avecla Chine. Maisau-delà de cette constatation, cette question ne comporte pas de réponse claire. Washington se la pose en permanence. Les Etats-Unis avaient, dans un premier temps, cédé au chantage nord-coréen, et accepté de composer avec Pyong-Yang en échange d’un gel de l’effort nucléaire. La deuxième  explosion de2009 aeu raison de cette tentative. Depuis lors, les Pourparlers à Six (Etats-Unis, Chine, Russie, Japon et les deux Corées), qui avaient permis pendant les années précédentes de maintenir le dialogue avec Pyong-Yang, et avaient même conduit à des conversations bilatérales directes entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, sont gelés depuis 2009. La Corée du Nord, pourtant sous sanctions internationales, a depuis lors encore aggravé son cas en diffusant technologies et matières nucléaires. La main des ingénieurs coréens est reconnaissable dans les efforts de prolifération heureusement avortés qui ont été détectés en Syrie, en Libye et même en Birmanie. Washington hésite continuellement dans son approche de la question nord-coréenne. L’administration Clinton avait été tentée par la négociation directe (Madeleine Albright s’était elle-même rendue à Pyong-Yang en octobre 2000), l’administration Bush avait au contraire choisi la voie de l’ostracisme et de la rigueur (M. Bush avait même inclus la Corée du Nord au sein de « l’axe du mal » dans son discours sur l’état de l’Union de janvier 2002), et l’administration Obama, confrontée à l’essai nucléaire de mai 2009, n’a pu s’essayer comme elle l’aurait souhaité à une politique de la main tendue.

Washington ne sait donc comment traiter le problème.La Maison Blanchea exclu, au lendemain du second essai nucléaire de 2009, de céder à nouveau au chantage nord-coréen : « Je ne veux pas acheter le même cheval deux fois », a déclaré le Secrétaire àla Défense RobertGatesà plusieurs reprises. Or la menace que fait peser la Corée du Nord est bien réelle, menace directe d’abord, mais aussi menace de prolifération secondaire dans d’autres pays névralgiques. La Corée du Nord est peut-être une secte, comme le pense le Département d’Etat, mais l’expérience enseigne qu’il existe des sectes suicidaires, comme l’ont démontré les épisodes sinistres de Waco ou du Temple Solaire.

La meilleure approche pour la diplomatie américaine consisterait à établir un dialogue direct avec Pékin sur le sujet coréen. Mais les dirigeants chinois, tout en se gardant de le refuser, se dérobent, et ne partagent pas avec Washington la substance de leurs entretiens avec Pyong-Yang. Peut-être y a-t-il là une marque de complicité avec les dirigeants nord-coréens. Ceux-ci, dans la mesure où ils seraient disposés à un dialogue, veulent essentiellement privilégier le contact direct avec Washington – chimère aujourd’hui inatteignable tant que se poursuit le développement de leur programme nucléaire.

Une succession lourde de dangers.

Dans ce contexte difficile, la succession qui vient de se dérouler à la tête de l’Etat nord-coréen soulève beaucoup de questions.

A priori, les conditions dans lesquelles Kim Jong-un a été d’abord mis sur orbite, puis intronisé montrent clairement un souci de continuité et de stabilité. « Le Grand Successeur » n’a pas encore rassemblé tous les titres et les attributs que cumulait son père. Il lui faut consolider son pouvoir. Les observateurs relèvent en particulier qu’il n’a officiellement encore aucune fonction au bureau politique du Parti, et que les remaniements et même les purges qui ont accompagné son avènement sont encore inachevés.

Tout semble indiquer pour l’instant que Kim Jong-un souhaite poursuivre la ligne politique tracée par son père. Sans doute est-ce là pour lui une condition nécessaire pour asseoir sa légitimité. Mais l’étendue de sa marge de manœuvre demeure un mystère. La cérémonie des obsèques et le strict protocole observé à cette occasion ont montré que Kim Jong-un est solidement encadré par les chefs militaires et  les proches collaborateurs de son père. Il semble aussi qu’autour de lui la famille pèse d’un poids particulier. Ainsi le beau-frère de Kim Jong-il, Jang Song-taek, qui semble avoir été désigné par le défunt leader pour jouer les mentors auprès du fils, apparaît-il sur le devant dela scène. Lesrelations de Kim Jong-un avec cet entourage complexe seront à observer soigneusement dans les mois qui viennent.

Il ne fait pas de doute que le rôle de l’armée reste prééminent. Le soin avec lequel le nouveau leader a été investi de titres militaires avant même de se voir conférer une position de premier plan au sein du Parti le montre bien. Le risque existe peut-être que pour asseoir sa légitimité le nouveau leader se trouve amené à suivre une ligne dure, ou même à se lancer dans quelque initiative aventuriste.

Aussi tous les protagonistes se cantonnent-ils pour l’instant dans l’attentisme. Washington, Séoul et Tokyo ont multiplié, en termes modérés, les déclarations lénifiantes  sur l’objectif crucial de paix et de stabilité dans la péninsule, et sur les vertus du dialogue.  Mais rien ne permet de penser que le gouvernement nord-coréen entende en quoi que ce soit cesser ni ralentir ses efforts de développement d’une force nucléaire. En même temps, la situation économique et sociale de la Corée du Nord demeure très fragile. Si elle n’est pas aussi dramatique que lors de la grande famine de la fin des années 1990, la situation alimentaire reste mauvaise. L’économie parallèle qui s’est développée au cours de ces dernières années est un facteur d’instabilité, de même que le grand mécontentement suscité au sein de la population par la réforme monétaire de 2009, qui a ruiné l’embryon de classe moyenne en train de se constituer.

L’année 2012 sera riche en rendez-vous importants. La Corée du Nord célébrera ainsi le 15 avril le centenaire de la naissance de Kim Il-sung, le « Soleil des Peuples », et dix jours plus tard le 80ème anniversaire de la fondation de l’Armée populaire. Ces célébrations permettront d’observer les développements du culte de la personnalité du nouveau chef, et peut-être de juger de l’évolution du régime vers l’affirmation d’un pouvoir personnel, ou au contraire le développement d’une certaine collégialité. Le président sud-coréen doit également se rendre en visite officielle à Pékin, et y aura d’importants entretiens avec les dirigeants chinois. Enfin, en décembre s’achèvera en Corée du Sud le mandat du Président Lee Myung-bak,  tenant d’une ligne de fermeté à l’égard du Nord, et se dérouleront de nouvelles élections présidentielles et législatives. Peut-être ces échéances permettront-elles de mieux mesurer les évolutions possibles dans une péninsule qui paraît aujourd’hui figée dans un statu-quo stérile et un affrontement sans espoir.

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