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La prohibition aux Etats-Unis dans les 1920 : Un échec cuisant

Communication présentée avec Anne-Lorraine Bujon de l’Estang lors du colloque de l’Académie du Vin de France et de la Société de Géographie, le 27 janvier 2012.  

La Prohibition aux Etats-Unis représente un chapitre particulièrement original de l’histoire américaine. Elle s’identifie presque toute entière avec les années 1920 (qualifiées d’ « années folles » en France, et souvent de « Jazz Age » aux Etats-Unis), encore que ses racines remontent au XIXème siècle et aux origines mêmes de l’aventure américaine, et que ses prolongements aillent jusqu’à nos jours.

            La littérature, le cinéma et d’une façon générale la mythologie populaire des temps modernes ont conféré à la Prohibition un unique parfum de romanesque. Ce seul mot évoque immédiatement bien sûr les problèmes de l’alcoolisme, souvent sordides, parfois littéraires ou romantiques (Scott et Zelda Fitzgerald), mais aussi tout l’attirail des années folles, les débits de boissons clandestins (speakeasies), le jazz en effet (le destin tragique de Bix Beiderbecke ou Duke Ellington au Cotton Club de Harlem), les films noirs, Dashiell Hammett, le grand banditisme d’Al Capone, les étuis à violon, le massacre de la Saint-Valentin, si bien évoqués par le célèbre film «Les Incorruptibles » et Kevin Costner dans le rôle du justicier fédéral Elliott Ness. La Prohibition porte avec elle des effluves de péché, de danger, de violence, mais aussi de glamour et d’aventure.

            Derrière ces nombreuses réminiscences culturelles se cachent en fait des traits de caractère essentiels de l’Amérique, et une réalité sociale, économique et culturelle qui traduit les mutations profondes des Etats-Unis à la fin du XIXème et au début du XXème siècles. La Prohibition est la résultante de nombreux travers de la société et de la vie politique américaines, de l’évolution de l’immigration, de la condition ouvrière et aussi de la condition féminine au XIXème siècle, et des changements en profondeur  de la société qui ont accompagné le grand boom économique de la fin du XIXème siècle.

            Aussi faut-il examiner comment cette législation paradoxale est venue des profondeurs de l’Amérique et particulièrement de l’évolution de la société au XIXème siècle, avant de retracer l’histoire brève et erratique de la Prohibition, puis d’en brosser le bilan mitigé et d’évoquer son héritage dans la vie politique et sociale des Etats-Unis d’aujourd’hui.

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I – Une législation paradoxale, enracinée dans l’histoire et le tempérament américains.

Pour étonnant qu’il puisse paraître, l’épisode de la Prohibition n’est pas une simple parenthèse dans l’histoire américaine. Il s’agit bien plutôt de la conclusion en fanfare d’un long cheminement: législatif et politique d’abord, puisque la Loi nationale de 1919 succède à plusieurs épisodes de prohibition au plan local; mais aussi idéologique et culturel. Le soutien à la Prohibition a grandi dans un terreau national bien particulier, grâce à un tempérament dont on peut remonter la généalogie jusqu’aux premiers établissements coloniaux en Nouvelle Angleterre, et suivre le développement puis l’exacerbation dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Dès la fondation des Etats-Unis on retrouve en effet une tension fondamentale entre l’usage et le commerce très répandus de l’alcool d’une part, le rhum notamment jouant un rôle prépondérant dans les échanges atlantiques, et la volonté, de l’autre, d’en limiter l’usage pour moraliserla société. Maisc’est surtout au XIXème siècle, une époque de croissance et de transformations considérables pour la jeune nation américaine, que la cause de la tempérance, puis de la prohibition, devient une sorte de fixation nationale, portée par différents groupes  militants qui pensent trouver dans cette « noble » cause le remède à tous les désordres politiques et sociaux de leur temps.

Pour mieux comprendre comment les Etats-Unis en sont venus à la Prohibition, on peut ainsi en remonter l’histoire sur trois plans différents au moins : le fonds religieux calviniste d’abord, qui explique largement la propension américaine à ce que l’historien Paul Johnson appelle les « croisades vertueuses » (1); le développement économique et social au XIXe siècle ensuite, qui voit l’émergence d’une « Middle America » composite et de plus en plus démocratique, où  se multiplient toutes sortes d’associations, d’églises, de ligues, et de partis cherchant à influer sur la chose publique;  et enfin, dans les années précédant immédiatement le passage du XVIIIème amendement, l’action particulièrement efficace et déterminée  de ce qu’on pourrait voir comme l’un des premiers lobbies moderne, la Ligue contre les débits de boisson (Anti Saloon League), qui a su à merveille jouer de toutes les ficelles juridiques et institutionnelles du système fédéral américain pour parvenir à ses fins.

1/ Le calvinisme et les croisades de la vertu

On ne rappelle jamais trop que la fondation des Etats-Unis remonte à l’arrivée à Plymouth Rock, sur la côte de Nouvelle Angleterre, des « pères pélerins » emmenés par John Winthrop, futur gouverneur du Massachusetts. Membres d’une secte protestante dissidente, ces premiers colons fuyaient les persécutions subies en Angleterre ou en Hollande, et venaient fonder dans le Nouveau Monde une nouvelle Jérusalem, une « cité sur la colline » où ils pourraient vivre selon les enseignements dela Bible.  Malgréles difficultés rencontrées les premières années, leurs communautés naissantes se devaient d’être exemplaires, de racheter les errances du monde par des vies de vertu et de piété.  Pour ces calvinistes rigoristes, tout plaisir était suspect, et facilement assimilé au péché; et dans une vision du monde qui opère une distinction fondamentale entre les élus et les damnés, il était essentiel que la communauté des croyants se mobilise contre ses ennemis, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs.

C’est ainsi que l’histoire des premières colonies en Nouvelle-Angleterre est jalonnée d’épisodes de persécutions: contre les hérétiques, qu’ils soient catholiques ou Quakers, contre tous les comportements jugés immoraux, comme en témoigne le traitement de la jeune héroïne adultère de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, ou encore contre les sorcières à Salem…  C’est ce trait de caractère national que Paul Johnson met en avant lorsqu’il souligne la permanence des croisades morales dans l’histoire des Etats-Unis, que le grand mythe national tend toujours à présenter comme un combat du Bien contre le Mal. Et de fait, les Américains se sont souvent unis, et définis, par les ennemis réels ou supposés qu’il leur fallait combattre : les hérétiques,  les indiens, les alcooliques, les communistes, et aujourd’hui les « islamo-fascistes » ont pu jouer ce rôle tour à tour. La chronologie est d’ailleurs parlante, qui voit au XIXe la lutte contre l’alcool succéder aux guerres indiennes, obstacle à la conquête de l’Ouest, puis à l’abolitionnisme, prétexte majeur de la Guerre de Sécession, et la paranoïa maccarthyste démarrer presque immédiatement après la fin de la Prohibition.

2/ Le XIXème, siècle du progrès et de la réaction

Le XIXème américain c’est à la fois le siècle de la Conquête de l’Ouest, et avec elle d’une expansion territoriale galopante et en partie anarchique; le siècle de la Guerre de Sécession, qui consomme la rupture entre un Sud agraire et un Nord industrialisé; et enfin le siècle de l’urbanisation et de l’industrialisation, du capitalisme sauvage alimenté par une immigration massive en provenance d’Europe centrale et du Sud.

La fin du siècle en particulier concentre des changements économiques et sociaux extrêmement rapides: le succès du capitalisme américain et une croissance économique soutenue, favorisant le développement des premières grandes fortunes industrielles ; mais aussi des crises de subsistance, des épisodes de spéculation sur l’or ou sur les chemins de fer, des crises financières, une grande misère ouvrière…. Pour faire tourner les usines dans les régions du Nord-Est, on accueille sans compter les immigrés venus d’Europe centrale et du Sud : on estime ainsi à 14 millions le nombre de nouveaux venus entre 1860 et 1900;  en quarante ans la population américaine a doublé, de 31 millions en 1860 à 75 millions en 1900 (2). Les conditions de vie dans ces régions n’ont rien à envier aux corons de Germinal, à quoi il faut ajouter que ces populations ouvrières immigrées de fraîche date sont peu ou pas éduquées, parlent à peine l’anglais, et sont mal acceptées par les protestants d’Europe du Nord, d’immigration plus ancienne.

Il n’est pas étonnant que des changements d’une telle ampleur aient provoqué quelques remous dans la société américaine, composée désormais de groupes démographiques, religieux, et socio-professionnels de plus en plus hétéroclites, qui s’organisent pour défendre leurs intérêts particuliers conformément à l’esprit des institutions américaines. Alors que la corruption politique progresse, avec le développement de « machines » clientélistes au plan local et régional, différents mouvements de protestation voient le jour, qui s’organisent autour de grandes causes politiques et sociales.

Or il faut bien voir que, dans les territoires reculés de l’Ouest, comme dans les campagnes du Sud ruinées par la guerre, comme dans les faubourgs des grandes villes et leurs taudis ouvriers, l’alcool fait des ravages: pauvreté, maladies, violences conjugales, l’alcool semble avoir partie liée avec un ensemble de fléaux sociaux qui menacent l’équilibre et la fierté nationale. Pour différents groupes militants, aux valeurs et aux intérêts parfois très contradictoires, la lutte contre l’alcoolisme a partie liée avec leur cause; de l’une des batailles qui valent d’être menée, elle gagne du terrain pour devenir bientôt une priorité, un combat rédempteur contre la corruption, la dissolution, le dévoiement de l’Amérique.

Les femmes, en premier lieu, ont joué un très grand rôle dans le développement des premières sociétés de tempérance. D’abord abolitionnistes, elles étendent bientôt leur souci des pauvres et des déshérités aux populations ouvrières. Dans un esprit de réformisme progressiste mêlé de moralisme religieux, et du souci de préserver leurs familles, elles luttent pour la tempérance mais aussi contre la prostitution, pour l’amélioration des conditions de travail et un début de protection sociale, ou encore contre le travail des enfants. Par ces luttes sociales les femmes se taillent progressivement une place dans la vie politique américaine: la Women’s Christian Temperance Union et sa présidente Frances Willard sont particulièrement représentatives de cette sensibilité, qui conduira à des croisades de prières devant les débits de boissons, ou encore aux excès d’une Carrie Nation qui dévastait les saloons du Kansas à la machette, mais aussi, un an après le passage du XVIIIème amendement, au XXème amendement qui accordait le droit de vote aux femmes américaines.

Les pasteurs, surtout baptistes et méthodistes, se sont également fait les apôtres de la tempérance, puis de l’abolition. Le XIXème est marqué par une série de réveils religieux, et l’emprise de l’évangélisme conservateur s’étend à la faveur des troubles économiques et sociaux. Un grand nombre de pasteurs itinérants, qui attirent à eux des foules de fidèles pour des séances de baptêmes collectifs ou des prêches inspirés, évoquent ainsi sans relâche l’utopie d’une Amérique lavée du péché, réveillée de ses errances: ni alcool, ni prostitution, ni jeu, ni pornographie, mais des croyants revenus à Dieu, et une terre nouvelle qui tiendrait les promesses de l’exode.

Les campagnes de tempérance sont également soutenues par des groupes beaucoup plus conservateurs, « nativistes » et xénophobes. Dans le Sud rural notamment, on aime à opposer la vie simple et saine des campagnes aux existences dépravées que l’on mène dans les villes du Nord. Et à cette dichotomie inventée (car on buvait beaucoup dans le Sud également!) se superposent des préjugés tenaces contre les nouveaux venus, dont peu s’aventurent en réalité jusqu’à ces régions plus reculées. Les centres urbains et industriels du Nord-Est sont autant de Babylones dont il faut contrer l’influence néfaste, et le Sud est présenté comme le dernier bastion d’un ordre social et moral représentatif dela vraie Amérique. Le  Ku Klux Klan, qui renaît au tournant du siècle, prend ainsi fait et cause pour la prohibition, et l’alcool devient un ennemi à abattre au même titre que les Noirs, les Juifs, ou les « papistes ».

Symbole pour certains du progrès social, l’opprobre jeté sur l’alcool participe donc aussi, pour d’autres, d’une forme de rejet de la modernité, de réaction. C’est quelques années seulement après le passage du XVIIIème amendement, en 1924, qu’aura d’ailleurs lieu dans le Tennessee le « procès du singe », ou procès Scopes, où un professeur sera traîné en justice pour avoir enseigné la théorie de l’évolution. On assiste à cette époque à toutes sortes de ces crispations fondamentalistes, révélatrices des transformations qui travaillent la société américaine. Le nativisme n’est d’ailleurs pas l’apanage du Sud, et nombreux sont ceux qui pensent que les nouveaux immigrés sont inassimilables, et qu’il faut les « américaniser », de force si nécessaire, ou les renvoyer chez eux. Leur propension à l’alcoolisme ne serait ainsi que l’un de leurs traits de caractère répréhensibles. A l’interdiction de l’immigration chinoise, puis japonaise, succèdent d’ailleurs les lois des quotas, en 1921 puis en 1924, qui restreignent strictement l’immigration. La première décennie du XXème siècle est aussi celle de la peur des rouges, qui culminera dans l’arrestation puis l’exécution en 1927 de Sacco et Vanzetti.

3/ L’Anti-Saloon League, premier lobby moderne ?

De ce climat troublé, l’Anti Saloon League a su tirer le plus grand profit. Cette organisation fondée dans l’Ohio en 1893, d’abord alliée à d’autres sociétés de tempérance, mais bientôt la plus puissante de toutes, fonctionne comme une véritable machine de propagande, dévouée à une cause et une seule. Elle organise des réunions publiques, fait distribuer des tracts, placarde des affiches, publie des pamphlets pseudo-scientifiques sur les dangers de l’alcool… Mais c’est aussi une machine d’influence politique redoutable, qui place ses fidèles à tous les niveaux des appareils politiques dans les Etats, et au niveau national.

La Ligue arrête également une stratégie législative bien précise: puisque des lois sèches avaient été adoptées puis révoquées dans plusieurs Etats (jusqu’à 13 à la veille de la Prohibition nationale, le Maine ayant été le premier en 1851), qu’à cela ne tienne, il fallait inscrire la Prohibition dans la loi organique nationale, et même en faire un amendement à la Constitution. Rédigésen 1913, les premiers projets d’amendements sont d’abord rejetés, puis réécrits, et la Ligue ne relâche jamais la pression : manipulations, coercitions, pressions, tout est bon pour s’assurer le soutien des maires, des gouverneurs, ou des sénateurs. Peu importe d’ailleurs leur moralité ou leurs habitudes personnelles, et certains sont connus pour leur goût pour l’alcool, ce que l’on surveille scrupuleusement, c’est la façon dont ils votent dans leurs assemblées législatives locales ou au Congrès. Après un premier galop d’essai avec des lois circonscrites, ou provisoires (Anti Canteen Act est ainsi passé en 1900, qui interdit la distribution de boissons alcoolisées dans les casernes de l’armée de terre), la proposition d’amendement est acceptée en 1914 par la Chambre des Représentants, puis en 1917 par le Sénat.

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II –  La Prohibition : une histoire brève et erratique

      L’histoire de la Prohibition, conçue comme une aventure législative, s’étend  de 1919 à 1933, soit du vote du XVIIIème amendement à celui du XXIème , qui abolit le XVIIIème.

1 / Il faut d’abord comprendre pourquoi les efforts des décennies précédentes ont coagulé pour donner naissance, en 1919, à une législation de portée nationale qui a trouvé une traduction constitutionnelle.

En 1917, au moment de l’entrée en guerre des Etats-Unis, vingt-trois états américains avaient adopté et mis en œuvre une législation prohibitionniste, avec des degrés divers. Treize d’entre eux étaient totalement « secs ». L’historien américain Daniel Boorstin, ancien Bibliothécaire du Congrès énumère, dans sa célèbre fresque « The Americans » les cinq facteurs qui selon lui expliquent l’avènement d’une législation fédérale sur ce sujet.

–         la corrosion créée par l’abus de la vie des saloons qui en était arrivée, à cette date, à un véritable point de rupture,

–         le souci, né de l’effort de guerre, de conserver les ressources en céréales pour l’alimentation du pays et des troupes, au  lieu de les laisser dilapider par l’industrie de la distillation,

–         le développement d’un sentiment nationaliste anti-allemand, qui s’est du même coup tourné contre les industries de la distillation et de la brasserie, dominées depuis le siècle précédent par des émigrants d’origine germanique,

–         le renforcement du rôle des femmes (déjà dominant dans l’Anti-Saloon League), très sensible du fait de l’enrôlement de millions d’hommes dans les forces armées,

–         enfin la ferveur morale inspirée par l’entrée en guerre, décidée au nom de la lutte du Bien contre le Mal, qui exigeait que la Nation sous les drapeaux fut vertueuse et luttât contre les fléaux sociaux comme l’alcoolisme.

Aux cinq éléments relevés par Daniel Boorstin s’en ajoute un sixième, très fondamental : les contraintes du temps de guerre ont très naturellement conduit à un renforcement du pouvoir central, et donc de l’échelon fédéral. Dans l’histoire sinusoïdale qui marque sur ce point la vie des institutions aux Etats-Unis, la première guerre mondiale aura marqué, comme plus tard la seconde, un temps fort de l’échelon fédéral dans la vie politique américaine.

Le dispositif législatif qui introduit la Prohibition comprend deux volets. En premier lieu le XVIIIème amendement à la constitution fédérale, voté le 29 janvier 1919 : il interdit « la fabrication, la vente, ou le transport d’alcool (intoxicating liquor) et l’importation ou l’exportation d’alcool à des fins de boisson ». Cet amendement à la Constitution sera complété, le 28 octobre de la même année, par le vote du Volstead Act, du nom d’un représentant d’un comté rural du Minnesota. C’est ce dernier texte qui définit la notion d’intoxicating liquor comme « toute boisson contenant un demi-degré d’alcool pur », ce qui est évidemment très large, et inclut notamment le vin. C’est le Volstead Act qui décide de confier le soin de la police et de la répression du XVIIIème amendement non pas au département de la Justice, ce qui eut paru logique, mais au département du Trésor et en particulier au Bureau of Internal Revenue. Il s’agit là d’une des failles fondamentales de cette législation : l’administration qui se voit ainsi chargée de mettre en œuvre la Prohibition n’est pas équipée pour cette tâche, ni pour ce qui concerne la formation de ses agents ni par la logistique et les moyens dont elle dispose.

2/ L’adoption de cette législation a eu des effets catastrophiques presque immédiats. Interdit, l’alcool a revêtu du jour au lendemain la saveur du fruit défendu. Comme le fait remarquer André Maurois dans sa célèbre « Histoire des Etats-Unis », parce que les saloons étaient sordides et les speakeasies élégants , l’ivrognerie devint un vice de riches, phénomène encouragé par le renchérissement des prix de l’alcool clandestin. L’on vit fleurir en quelques mois des milliers de débits de boissons clandestins et une nouvelle industrie de production et de distribution de l’alcool désormais prohibé, le bootlegging .

Et parce que le goût pour l’alcool n’avait en rien diminué, l’on vit, comme le relève

A. Maurois, « un pays jadis respectueux des lois se mettre à traiter avec indulgence ceux qui violaient le XVIIIème amendement ».

L’industrie du bootlegging ne fut en effet clandestine qu’en apparence : elle fut, en fait, semi-tolérée et en tous cas protégée par la corruption . Ce fut en effet une véritable industrie qui se développa très vite, couvrant toute la filière : la distillation, le transport, la distribution et la gestion des débits clandestins, ainsi que l’importation en provenance en particulier du Mexique, du Canada et de Cuba. Elle inclut même l’exportation, notamment à partir des ports de la côte atlantique. Parce que le développement de cette industrie exigeait des moyens considérables, les bootleggers devinrent des personnages tout-puissants.

C’est ce qui explique le développement massif de la criminalité organisée de type mafieux, the mob, du fait de la Prohibition. Celle-ci engendra la naissance de gangs, véritables «syndicats du crime» aux ramifications multiples. Ces gangs contrôlaient un réseau d’usines clandestines, de points de distribution et de débits de boissons clandestins, reliés par des flottes de camions et de véhicules, contrôlées par une armada d’hommes de main armés jusqu’aux dents. Ils ne préexistaient pas à la Prohibition, mais en sont directement issus. Ils se sont souvent développés à partir de réseaux de proxénétisme qui, eux, étaient antérieurs à l’adoption du XVIIIème amendement. C’est ainsi que le plus connu de ces gansters, Al Capone, arrivé à Chicago des bas-quartiers de New York en 1920, succéda d’abord à John Torrio, lui-même chef d’un réseau de crime organisé spécialisé dans la prostitution, pour transformer ce gang en un tout-puissant syndicat du bootlegging, surarmé, dangereux et très organisé.

Ces gangs purent se maintenir en toute impunité grâce à la corruption massive des autorités locales. Les mobsters  contrôlent les élections locales, infiltrent l’administration et la justice, cherchent à étendre leurs tentacules jusqu’à la police fédérale. Maires, conseillers municipaux, policiers, juges, tous sont dans la main du crime organisé. Le maire de Chicago dans les années 1920, Big Bill Thompson, incarne jusqu’à la caricature la corruption des autorités municipales. Les gangsters disposent ainsi de permis de port d’arme parfaitement légaux délivrés par des juges locaux, et les chefs de gang, prudents, bien protégés par des avocats acquis à leur cause, se révèlent très difficiles à appréhender. C’est ce qui explique qu’il faudra, pour venir à bout des mobsters, les agents fédéraux du Trésor, les fameux  «  incorruptibles » d’Elliot Ness, qui finiront par triompher d’Al Capone en le convainquant de fraude fiscale.

3/ Le vote de la Prohibition aura donc engendré des conséquences inattendues au sein de la société américaine. La première de celle-ci fut le développement d’un climat d’illégalité et d’insécurité entretenu par l’impunité dont jouirent pendant longtemps les agents du crime organisé. Ce climat révèle toute l’ambiguïté  du phénomène dela Prohibition. Comme le remarqua le célèbre journaliste Walter Lippman en 1931 : « Le haut degré d’illégalité vient du désir profond que nourrissent les Américains pour beaucoup de choses qu’ils souhaitent aussi prohiber ». Les effets pervers de la Prohibition révèlent ainsi l’hypocrisie qui se cache derrière le puritanisme.

Une autre conséquence inattendue s’est fait sentir sur la cohésion de la société américaine. Paradoxalement, l’affirmation des minorités (italienne, irlandaise, juive) dans le crime organisé traduit un affaiblissement du melting-pot, ce creuset où se forge l’identité américaine à partir des apports disparates des vagues d’immigrants. L’industrie de l’alcool avant la Prohibition était contrôlée par une classe possédante d’origine anglo-saxonne. Dès le vote du XVIIIème amendement, celle-ci s’est trouvée éclipsée par une industrie du bootlegging entièrement contrôlée par les minorités. Celles-ci sont diverses selon les capitales du trafic. A New-York, le bootlegging est ainsi pour moitié aux mains des Juifs, pour un quart des Italiens, et pour le quart restant des Irlandais et des Polonais. A Chicago, les gangsters italiens d’Al Capone finissent par venir à bout, au terme d’une guerre sanglante, du gang irlandais d’O’Banion. A Los Angeles, les Italiens font la loi.

Ces épisodes rocambolesques ne sont pas folkloriques. Ils témoignent en fait de la conjonction de deux phénomènes. Le premier est l’explosion dans l’illégalité de l’extraordinaire esprit d’entreprise américain : il n’aura pas fallu six mois après le vote du Volstead Act pour que se développe cette industrie nouvelle. Et le second est l’esprit d’initiative des immigrants arrivés de fraîche date : Italiens et Irlandais durent se trouver dans le crime organisé une place au soleil… parce que les autres créneaux, légaux, étaient occupés par les immigrants arrivés avant eux, Allemands ou Polonais et bien sûr Anglais et Ecossais.

4/ Déclin et abolition de la Prohibition

Au début des années 1930, l’échec de la tentative était patent et très largement reconnu. Il était évident que la Prohibition avait donné lieu à un boom de la criminalité organisée, et avait contribué à considérablement développer les ravages de la corruption au sein de la classe politique et de l’institution judiciaire. En outre, elle avait causé un dommage évident aux finances publiques : le manque à gagner fiscal et douanier était très  substantiel, fraude et contrebande échappaient à tout contrôle.

En outre, aucune diminution décisive de la consommation d’alcool ne venait compenser ce lourd passif. Bien au contraire ! Le témoignage du journaliste Walter Liggett, très grand expert sur ce sujet, devant le Comité des Affaires Judiciaires de la Chambre des Représentants en février 1930 est sur ce point éloquent : «  Il y a beaucoup plus d’alcool dur consommé aujourd’hui qu’il n’y en avait dans les jours d’avant la Prohibition » , déclarait-il, ajoutant : « Il est en outre bu dans des conditions et dans un environnement autrement néfastes ». W . Liggett citait en outre dans sa déposition des chiffres accablants : Washington D.C. avait ainsi 300 bars avant la Prohibition et avait aujourd’hui 700 speakeasies approvisionnés par 4000 bootleggers ; le Massachussetts était passé de 1000 saloons autorisés en 1919 à 4000 speakeasies , auxquels il faut ajouter plus de 4000 autres dans la seule ville de Boston, où 15 000 personnes au moins étaient employés dans la fabrication et la distribution d’alcool illégal. L’ensemble du témoignage est accablant.

Cependant, le constat quasi-unanime d’échec s’est heurté pendant longtemps à la pusillanimité de la classe politique . Si tout le monde était convaincu de l’inanité de la Prohibition, personne ne prenait d’initiative pour l’abolir. La campagne présidentielle de Franklin D. Roosevelt en 1932 est à cet égard très révélatrice : le candidat Roosevelt n’y a pratiquement pas mentionné le thème dela Prohibition. Alorsmême que la répression s’allégeait, par lassitude et découragement, plusieurs années furent ainsi perdues du fait de cette inaction.

Ce fut la grande dépression des années 1930 et le fléau du chômage qui eurent finalement raison de la Prohibition et décidèrent les législateurs à agir. Le souci de rétablir les recettes fiscales perdues par l’Etat Fédéral se conjugua à la volonté de créer des emplois

dans une industrie de l’alcool re-légalisée. En février 1933 fut voté le XXIème amendement à la Constitution qui abolit purement et simplement le XVIIIème. Quelques Etats conservateurs et ruraux restèrent seuls attachés à une législation prohibitionniste : l’Oklahoma resta ainsi « sec » jusqu’en 1959, et le Mississippi jusqu’en 1966.

III ) Un bilan mitigé, mais un héritage important.

 

1/ En termes de consommation d’alcool et de santé publique :

 Il est difficile de trouver des chiffres précis sur les volumes d’alcools consommés avant, et surtout pendant la Prohibition, l’interdiction ayant évidemment sérieusement compliqué la collecte de données fiables. Différentes sources s’accordent pourtant à dire qu’entre la fin du XIXème siècle etla Seconde Guerre Mondiale, la consommation d’alcool par tête aurait plutôt baissé. Ainsi la consommation moyenne au milieu du XIXème siècle aurait été environ quatre fois ce qu’elle est aujourd’hui (3).

Mais ce qui évolue aussi c’est ce qu’on boit: jusqu’au XIXème, ce sont les alcools forts et la bière qui dominaient, avec une légère augmentation de la consommation de vin au XIXème, sans doute due à l’influence culturelle des immigrés venus d’Allemagne et d’Italie notamment. Pendant la Prohibition, on boit des alcools de plus en plus forts – pour les bootleggers la plus value est en effet plus grande sur le whisky ou d’autres alcools forts et c’est donc pour distribuer ces derniers qu’ils sont prêts à braver les autres gangs et les autorités. C’est d’ailleurs des speakeasies des années 1920 qu’on date le goût des cocktails aux Etats-Unis, ou autres formes de dilution de l’alcool. Et puis, pour les amateurs  moins fortunés, c’est aussi l’époque de l’alcool frelaté, distillé au clair de lune dans les campagnes (le moonshine), ou dans des alambics familiaux. Des stocks d’alcool industriel dénaturé circulent également, dont certains sont des poisons violents… Mais là encore, les morts dûes à l’absorption de tels poisons n’ont pas été systématiquement documentées.

On ne boit donc plus les mêmes choses, mais on ne boit pas non plus dans les mêmes endroits. Pendant les années folles, les bars et les clubs de jazz sont très en vogue, et la upper class les fréquente assidument. L’écart se creuse entre cette clientèle fortunée et le buveur ordinaire, condamné par la fermeture des saloons à boire discrètement dans des arrière-salles les produits les plus douteux. C’est aussi l’époque où les femmes, après s’être coupé les cheveux et avoir raccourci leurs jupes, se mettent à boire en public, incarnant une nouvelle liberté parfois tapageuse. C’est l’époque du Cotton Club, et de Zelda Fitzgerald….

Avec le recul, on voit donc que la fermeture des saloons a marqué comme un basculement, d’une société rude et machiste, où les hommes se retrouvaient entre eux pour ingurgiter divers tord-boyaux, à un usage plus mondain de l’alcool, dans des fêtes ou des soirées privées. Cette tendance s’accentuera encore dans les années 1980, quand les Américains (re)découvrent les plaisirs du vin, en tout cas certaines élites économiques et culturelles, car le vin reste aux Etats-Unis un produit haut de gamme .

2/ En termes de mutation des modes de production et de distribution :

L’épisode de la Prohibition a également marqué un basculement vers une véritable industrie de la production d’alcool, plus concentrée et monopolistique. Dans le cas de la bière par exemple, la production a redémarré tout de suite  après le passage du XXIème amendement, mais une moitié seulement des brasseries d’avant la Prohibition ont rouvert. D’un tissu de petites et moyennes brasseries souvent tenues par des familles, la production de bière est passée aux mains de quelques grands groupes industriels bien organisés, qu’on connait encore aujourd’hui, comme Coors, ou Budweiser, qui assurent toute la chaîne de la production à la distribution, en passant par la publicité et le marketing.

Mais c’est aussi de cette époque que datent l’essor et le succès aujourd’hui planétaire du Coca-Cola et avec lui de l’industrie des soft drinks. C’est en effet à Atlanta, dans les années 1880, qu’un pharmacien tempérant à la recherche d’une boisson à la fois calmante et stimulante en découvrait la formule, bientôt relayé par des entrepreneurs de génie qui mettent en place une organisation impeccable que certains ont pu comparer à celle d’une église. Une grande campagne est lancée, qui fait du Coca-Cola « the Great American Temperance Drink ». Sans que l’on puisse expliquer entièrement le développement spectaculaire de cette entreprise par ce climat bien particulier, il est donc évident qu’il a joué. Le Coca-Cola devient progressivement un culte, qui compte toujours plus de fidèles, au point qu’aujourd’hui c’est le deuxième mot le plus utilisé dans le monde, après « OK ».

 

3/ En termes de sociologie. Les minorités se sont fortement affirmées à travers le développement des syndicats du crime organisé. La Prohibition a ainsi fait échec à l’américanisation des minorités, et favorisé au contraire le renforcement du communautarisme. Italiens, Irlandais, mais aussi dans une moindre mesure Polonais se sont affirmés comme des minorités soudées, aux caractéristiques bien spécifiques. L’aspect de mosaïque de la société américaine s’est ainsi affirmé au détriment du melting-pot.

Il faut aussi bien mesurer le point auquel la Prohibition aura été à l’origine d’un changement qualitatif et quantitatif dans la criminalité organisée aux Etats-Unis. Elle aura été le point de départ du développement de la grande criminalité et des réseaux mafieux, qui se sont perpétués jusqu’à aujourd’hui en remplaçant le commerce lucratif de l’alcool illégal, revenu dans le domaine public, par les industries de la prostitution et du jeu dans un premier temps,  puis par celle des stupéfiants plus récemment. La prohibition aura ainsi été à l’origine d’un changement radical dans l’échelle et le degré de sophistication du crime organisé aux Etats-Unis jusqu’à ce jour.

Aujourd’hui, des phénomènes analogues à ceux des années 1920 se reproduisent. Ce sont en effet volontiers des nouvelles vagues d’immigrants (Hispaniques, Asiatiques) qui prennent la relève des vagues précédentes, et se portent désormais sur les créneaux de criminalité (drogue) laissés libres  par les minorités déjà installées.

De même, les réseaux de criminalité qui se sont développés dans les ghettos noirs des grandes villes (New York, Chicago, Philadelphie, Los Angeles, Detroit, Washington-Baltimore) initialement développés grâce à la Prohibition, se sont-ils aujourd’hui reconvertis dans le trafic de drogue.

4/ En termes de pratique législative. Il y a ici plusieurs leçons à tirer  de l’expérience de la Prohibition.

La première concerne la difficulté à jouer avec la Constitution, et la lourdeur du système des amendements. La Constitution américaine, même amendée, est un texte de caractère quasi-sacré. L’abolition du XVIIIème amendement aurait dû ainsi intervenir beaucoup plus tôt que 1933. Mais la lourdeur de la procédure, et la nécessité de faire intervenir non seulement le Congrès mais aussi les procédures de ratification de chacun des Etats fédérés auront effarouché trop longtemps les législateurs.

Une seconde leçon aura été de démontrer le caractère utopique de « l’américanisation par la loi », dogme couramment répandu au XIXème siècle. L’échec de la Prohibition aura montré toute la difficulté d’instaurer par voie législative une Amérique vertueuse : l’expérience aura montré que la vertu ne peut pas se décréter.

En outre, les difficultés de l’application et du contrôle du XVIIIème amendement et du Volstead Act  ont largement tenu, on l’a dit, au fait que ces textes ne donnaient pas à l’administration les moyens de lutter efficacement contre l’industrie clandestine de l’alcool. Or, depuis Woodrow Wilson, les présidents successifs (Harding, Coolidge, Hoover), ont tous répugné à recommander l’adoption des crédits fédéraux nécessaires à la mise en œuvre effective de cette législation. Complicité tacite, fatalisme, pusillanimité se sont sans doute ajoutés aux effets dela corruption. La Prohibition aura été ainsi le premier cas patent de ce qui deviendra une tendance lourde dans la législation américaine, dénoncée par de nombreux historiens au premier rang desquels Paul Kennedy :  édicter  des règles sans donner les moyens de les faire appliquer.

Enfin l’abolition du XVIIIème amendement par le XXIème en 1933 marque un changement profond dans l’attitude du législateur, qui passe de l’interdiction àla règlementation. C’est cette dernière qui définit désormais les règles du jeu en matière de production et de consommation d’alcool. Ce passage à la règlementation marque également un recul de l’Etat fédéral qui transfère ce pouvoir aux Etats fédérés, lesquels le délèguent parfois à l’échelon inférieur (les comtés). Il en résulte une jungle règlementaire et une extrême complexité et diversité des règlementations locales que connaissent bien, pour les déplorer, importateurs et distributeurs d’alcool.

De même dans les temps postérieurs à la Prohibition les Etats-Unis auront-ils tendance à se tourner vers la règlementation plutôt que vers l’interdiction pour contrôler d’autres problèmes de santé publique comme le tabagisme ou l’usage des drogues douces. Il  faut y voir un legs de l’échec  de la Prohibition.

              La Prohibition aura donc été un phénomène idiosyncratiquement américain. Bien sûr, diverses tentatives prohibitionnistes ont eu lieu dans d’autres pays, notamment dans les pays scandinaves, surtout en Finlande. La Russie de Gorbatchev tenta également de juguler l’alcoolisme en édictant des interdictions, qui seront tournées et auront pour seul effet de développer la production d’alcool frelaté. Mais il ne s’agira que d’épisodes isolés.

              La Prohibition et son échec auront été un épisode uniquement américain. On y retrouve en effet tous les ingrédients de l’américanité : le puritanisme, l’utopie, l’esprit religieux, la foi en la vertu, mais aussi l’esprit d’entreprise, les effets de l’immigration et de la diversité ethnique, le fédéralisme et les particularismes, l’ingéniosité etla violence. Lesannées 1920 marquent la rencontre et le conflit entre deux utopies : celle inhérente à la prohibition, et celle qui sous-tend le principe sacro-saint de la libre entreprise. C’est celle-ci qui triomphera, à l’initiative, hélas des criminels.

        La Prohibition marque en outre le paroxysme de ce que l’historien Paul Johnson appelle la « tentation de la croisade vertueuse ». Persécuter au nom du Bien et de la Vertu constitue une tentation permanente de l’esprit américain, que ce soit au nom du calvinisme et de la pureté des pères fondateurs ou celui de l’anti-communisme (le phénomène du McCarthysme), ou de l’anti-racisme, ou du féminisme. Cette tendance lourde aboutira à la naissance de la political correctness qui s’annonce comme l’un des fléaux du XXIème siècle.

              Et le vin dans tout cela ? Peu consommé au XIXème siècle aux Etats-Unis, son usage se développera toutefois avec la création, entre 1860 et 1880 du vignoble californien. Le XVIIIème amendement l’assimilait aux alcools durs, et en interdisait pratiquement l’usage. Mais le Volstead Act  autorisait les chefs de famille à produire200 gallons de vin par an pour usage domestique. Cette disposition eut pour effet d’augmenter la consommation de vin durantla Prohibition. Phénomène sans lendemain : la consommation chuta brutalement après le vote du XXIème amendement, lorsque les Américains purent se tourner de nouveau vers la bière et les alcools forts. Il faudra attendre les années 1960 pour que se développe aux Etats-Unis la consommation de vin de qualité médiocre, puis les années 1980 pour que le goût des vins de qualité se développe enfin, faisant baisser du même coup la consommation d’alcools forts. Cette tendance est aujourd’hui bien ancrée, et le vin a enfin conquis ses lettres de noblesse dans la vie économique comme dans la vie sociale américaines.

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(1)     A History of the American People, Harper Collins Publishers, New York 1997

(2)     Ces chiffres sont cités par André Kaspi dans Les Americains : Naissance et Essor des Etats-Unis 1607 – 1945, Tome I, Seuil Paris 2002

(3)     Voir l’article de Wikipedia sur la Prohibition

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